Delphine et Marinette jouaient à la paume dans un pré fauché, et il arriva un grand jars aux plumes blanches, qui se mit à souffler dans son grand bec. Il avait l'air en colère, mais les petites n'y firent pas attention. Elles s'envoyaient la balle et avaient assez à faire de la suivre des yeux pour ne pas la manquer. «Tch... tch...», faisait le jars dans son bec, et il soufflait de plus en plus fort, vexé qu'on ne prît même pas garde qu'il était là. Et les petites criaient avant de faire les gestes : «la tape devant», ou bien «génuflexion», ou encore «double virette». C'est en faisant double virette que Delphine reçut la balle sur le nez. Elle resta d'abord interdite, frottant son nez pour s'assurer que la balle n'en avait rien ôté, puis elle se mit à rire, et Marinette partit à son tour d'un si grand éclat de rire que ses cheveux blonds étaient tout ébouriffés. Alors, le jars crut qu'elles se moquaient de lui. Son grand cou tendu en avant, l'aile battante et les plumes dressées, il vint à elles d'un air furieux. — Je vous défends de rester dans mon pré, dit-il. Il s'était arrêté entre les deux petites et les regardait l'une après l'autre de son petit œil méfiant et coléreux. Delphine devint sérieuse, mais Marinette, à voir ce lourdaud se dandiner sur ses pieds palmés, rit encore plus haut. — C'est trop fort, s'écria le jars, je vous répète... — Tu nous ennuies, coupa Marinette. Va-t'en retrouver tes oisons, et laisse-nous jouer tranquilles. Mes oisons, je les attends justement, et je ne veux pas qu'ils se trouvent en compagnie de deux gamines mal élevées. Allons, décampez. — Ce n'est pas vrai, protesta Delphine. On n'est pas mal élevées. Laisse-le donc grogner, dit Marinette. C'est un gros plumeau qui dit des bêtises. D'abord, pourquoi parle-t-il de son pré ? comme si lui, le jars, il pouvait avoir un pré ! Tiens, lance-moi la balle... double virette... Elle se mit à tourner et son tablier à carreaux bleus fit un joli rond sur ses genoux. Delphine fit un geste pour lancer la balle. — Ah ! c'est comme ça ! dit le jars. Il prit son élan, courut droit à Marinette, et ouvrant son grand bec, lui saisit un mollet qu'il serra de toutes ses forces. Marinette avait très mal, et très peur aussi, parce qu'elle croyait qu'il allait la manger. Mais elle avait beau crier et se débattre, il ne la pinçait que plus fort. Delphine arriva en courant et essaya de le faire lâcher prise. Elle lui donnait des claques sur la tête, le tirait par les ailes et par les pattes, ce qui le rendait plus furieux encore. Enfin, il abandonna le mollet de Marinette, mais ce fut pour saisir celui de Delphine, si bien que les petites pleuraient toutes les deux. Dans un pré voisin, il y avait un âne gris qui tendait le cou par-dessus la clôture et faisait bouger ses oreilles. C'était un très bon âne, doux et patient, comme ils sont presque tous. Il aimait bien les enfants, surtout les petites filles, et quand elles riaient de ses oreilles, il ne se fâchait jamais, quoiqu'il eût un peu de peine ; au contraire, il les regardait avec de bons yeux et faisait semblant de sourire, comme si, lui aussi, il se fût amusé d'avoir des oreilles aussi longues et aussi pointues. Par-dessus la clôture, il avait tout vu, tout entendu, et il était indigné de l'arrogance et de la méchanceté du jars. Tandis que les petites se débattaient, il leur cria de loin : — Prenez-le par la tête, à deux mains, et faites-lui faire un tourniquet !... Ah ! là là, s'il n'y avait pas cette clôture... Par la tête, je vous dis ! (à suivre...)