Conflit n La Casa de Bernarda Alba, une pièce écrite par Federico Garcia Lorca, a été jouée, ces quatre derniers jours, au TNA. Produite par le théâtre national et mise en scène par Ahmed Khoudi, la pièce s'ouvre d'emblée, sur le deuil : Bernarda Alba, après avoir perdu son second époux, décrète un deuil de huit ans. Une décision qu'elle impose à ses cinq filles, une période durant laquelle il est strictement défendu aux unes comme aux autres de sortir de la maison et de voir le monde extérieur ; celui-ci est observé – et fantasmé – seulement de l'intérieur, depuis les fenêtres et de la terrasse. Ainsi, les filles, jeunes, pétillantes de vie et, notamment, de désir pour les hommes, se trouvent captives et assujetties par une mère sévère, incompréhensive et despote ; et, dans ce lieu clos, où elles sont privées de liberté et d'initiatives, se créent des tensions entre chacune d'elles. Les unes des sœurs, les autres des demi-sœurs, toutes les cinq, rivales jusqu'à se honnir, se livrent ensemble à une lutte de sentiments. Toutes les cinq ont un destin commun : oppressées, frustrées, associables, les unes envers les autres, et ayant les sentiments refoulés. Elles sont aigries, agressives, nourries chacune par des intentions criminelles. Ce sont des personnages pathétiques, tragiques. Et cette tragédie des temps modernes, où l'individu est condamné à aller vesr son propre malheur, à le vivre jusqu'à ce que mort s'en suive, d'une manière ou d'une autre, est parfaitement mise en espace par chacune des comédiennes, à savoir, celles qui interprètent le rôle des filles. Leur jeu, correct et naturel, matérialise sur scène cette tension qui les met en mésentente, dans une situation conflictuelle. Il y ressort, en action, cette lutte de sentiments à travers laquelle, chacune apparaît avec une apparence désagréable, et cela à l'image de son caractère. Les filles sont, en effet, odieuses et d'un comportement (l'une envers l'autre) insoutenable. Elles sont là, à se jalouser, à se haïr, à se disputer. La raison de ces querelles : un homme. Toutes les cinq en sont tombées amoureuses. Cette attitude vile, inspire le sentiment, à la fois, de mépris et de pitié. Pitié, parce qu'elles sont oppressées, assujetties par une éducation austère et parce qu'elles se trouvent à la merci d'une mère tyran, chose qui les a empêchées de s'épanouir et de s'ouvrir pleinement à la vie, donc d'agir avec élégance (et non pas avec retenue), cette attitude vile est montrée dans un réalisme saisissant, et cela à travers l'expression scénique, les traits du visage, la gestuelle, le comportement, le langage tenu par chacune, ainsi que la force des voix qui, le tout, n'a pas dévalorisé la puissance du texte, dit en arabe dialectal. C'était un jeu authentique et qui suscite jusqu'à la fin l'intérêt du public. l Le personnage de la mère, Bernarda Alba, admirablement incarné par Souad Sebki, une comédienne de talent, se montre intransigeante dans son attitude fière et méprisante à l'égard de ses filles, ne tenant compte, ni de ce qu'elles peuvent ressentir ni de ce qu'elles peuvent endurer comme souffrance due à des passions refoulées. Tout ce qui compte pour elle, c'est bien son orgueil, voire sa dignité de mère, d'une femme qui veut montrer à toutes, et à tous, qu'elle peut faire preuve de stoïcisme face aux malheurs et aux déconvenues qu'elle n'a cessé de rencontrer dans sa vie. La pièce qui, soulignons-le, a été produite par le Théâtre national algérien (TNA), il y a de cela, près de vingt-ans a été jouée par Nouria, Keltoum, Nadia Talbi…, est traitée, certes, avec un certain humour effleurant, par moments, le comique, mais il se trouve qu'elle est profondément exploitée de manière à faire ressortir tout le drame qui l'incarne et la signifie. C'est la tragédie humaine dans son pathétisme que nous fait voir et ressentir la pièce.