Abstinence n Même sa nourriture est particulière durant ces trois jours : du petit-lait, du pain de seigle ou des galettes, des dattes et un peu de café. Malika, ma fille, le seul bienfait que je demande à Dieu, c'est de te donner un enfant. — Yemma, il me reste une chose à faire pour «ouvrir ma ceinture» ; mes amies m'ont conseillée d'aller au «ghrab». — J'ai pensé à cela, Malika, mais attends, nous irons ensemble… Cette année, je ne me sens pas bien, je dois absolument «nteiëch ênachra» et cela me manque. La vieille femme, encore alerte malgré son embonpoint, noue son voile noir au-dessus de sa tête et, avant de sortir, lance à sa fille : — Je ramènerai justement du khôl et du henné avec moi. Ton frère Maâmar se chargera du coq noir… Et elle baisse sa voilette blanche sur son visage ridé. Le lendemain matin, Safia se rend au hammam et, quand elle revient chez elle, met sa gandoura blanche et serre sa tête dans un foulard blanc. Elle ne parle plus à personne, observant une sorte de retraite pendant trois jours. C'est l'étape de la purification avant de «jeter» la «nêchra». Dans la maison, son vieux mari et ses enfants, tous adultes, évitent de faire du bruit ou d'élever la voix. Tout est calme autour de la mère, qui passe le plus clair de son temps allongée dans son lit aux colonnes de cuivre, ne se levant que pour faire sa toilette ou sa prière. Même sa nourriture est particulière durant ces trois jours : du petit-lait, du pain de seigle ou des galettes, des dattes et un peu de café. A chaque coucher de soleil, Malika emplit la maison d'encens, qu'elle fait brûler dans un petit kanoun rempli de braises. Les deux sœurs de Safia, venues lui rendre visite, se contentent de s'asseoir sur un matelas près de son lit, buvant un café en silence, jetant de temps à autre vers leur aînée un regard plein de respect, attentives à ses moindres désirs, remontant ses oreillers, la couvrant quand elles la voient frissonner. Puis, au bout du troisième jour, toujours sans prononcer une parole, Safia revêt ses plus beaux habits et passe un bâtonnet de khôl entre ses paupières. Ses mains, ses cheveux et ses pieds sont teints au henné grenat. Sa fille Malika, qui est allée au hammam très tôt, se prépare elle aussi. Puis Maâmar et son père les suivent vers un vieux taxi qui va les mener hors de Constantine, sur les hauteurs du «ghrab», dans une grotte naturelle où se retrouvent les femmes qui font des vœux pour trouver un mari, avoir des enfants ou retrouver la santé en jetant «ênachra» comme Safia. Dans leurs couffins, un coq noir et des poulets vidés, du pain «khobz eddar», des gâteaux et des fruits (à suivre...)