Vision n La femme qu'imagine Halima Lamine* est un être arraché, tourmenté, blessé au plus profond de lui-même. La femme se révèle de tout temps une source d'inspiration pour la peinture. Représentée différemment, et d'une époque à l'autre, elle y occupe une place exceptionnelle et elle nourrit abondamment —et souvent d'une façon originale ou encore insolite — l'esprit créatif de chacun des artistes qui la cultive dans ses représentations picturales. Comme dans toute expression picturale, la femme est un personnage récurrent dans la peinture algérienne : ô combien d'artistes l'ont reproduite, imaginée ou encore rêvée, voire fantasmée. Si certains préfèrent une représentation figurative de la femme, d'autre se penchent pour une mise en espace idyllique, chimérique de ce personnage. D'autres alors sont enclins à la faire paraître dans un genre particulièrement et authentiquement expressif, certes naturel, mais qui prend des allures rares, inaccoutumées, voire parfois fantasmagoriques. C'est le cas de Halima Lamine qui, d'une peinture à l'autre, s'emploie assidûment à lever le voile sur la femme, personnage qu'elle rattache intimement à sa vie mentale. La femme que conçoit l'artiste, l'imagine et qui figure dans un environnement pictural abstrait teinté de couleurs opaques, lugubres, funèbres, est un être arraché, tourmenté, blessé au plus profond de lui-même. Son regard (yeux écarquillés) laisse paraître cette sombre mélancolie. Mais la manière dont il est figuré témoigne manifestement de l'idée du déchirement, du déracinement et de l'anxiété. C'est un personnage déchiré, tiraillé, décomposé, fractionné. Il est représenté à l'envers comme à l'endroit dans une apparence difforme. Cette dysmorphie rend nettement compte de l'arrachement intérieur et de la souffrance qui consume lentement mais à coup sûr tout son être : celui-ci est torturé, écartelé dans des postures corporelles d'une singularité débridée. C'est un personnage qui semble alors souffrir. Il ne le dit pas, car il est muet même si sa bouche paraît entrouverte ou tantôt béante, mais son regard, regard qui dit, regard suggestif, est miroir de cette émotivité fragilisée, tant perturbée mais d'une grande intensité. Il souffre dans un mutisme oppressant. Sa présence, de surcroît, en dit autant. Cette présence étrangement incarnée semble être abandonnée. Elle est perdue dans cette spatialité abyssale (l'espace pictural). Un abîme dans lequel elle ne cesse de s'engouffrer. Son attraction l'aspire mais sans la laisser toucher le fond. C'est une présence suspendue dans le vide, quelque part dans le vide qui est aussi le néant de son subconscient. Ce qui est représenté ici en formes et en couleurs, c'est bien en effet une existence psychique (serait-elle celle de l'artiste ?) où tout est abstrait : spatialité évanescente, dématérialisée ; temporalité rompue, inexistante. C'est un autre monde qui est montré dans sa splendeur psychique et dans son dénuement physique —une existence loin d'être identique à celle du monde visible. Ainsi, le regard franchit l'ultime frontière, celle séparant le monde du réel à celui de l'irréel, du figuratif à celui du subconscient, et entre d'emblée dans une existence dépassant tout entendement ordinaire, matériel, rationnel. * Les peintures de Halima Lamine sont recueillies dans un livre d'art (autoédition). Il a pour titre : «Mémoires et métaphores, alchimie de la douleur.»