Le chardonneret a besoin de calme pour chanter sa liberté séquestrée. L'oiselier, un vieux à la chevelure mal soignée au-dessus d'un Bleu Jean crasseux, se ménage de remuer mille fois sa langue et de faire un long récital pour apostropher ces dizaines de passionnés agglutinés devant le chardonneret, au vert et jaune éclaté sur ses squelettiques pattes majestueusement juchées sur le perchoir de la cage. L'oiseau brode les plus belles notes pour se vêtir. Il chante merveilleusement bien et ne fait une halte que pour passer son bec corné sur sa fourrure veloutée et plumée. Comme un ténor qui, avec maestria, laisse jaillir de ses entrailles, les chauds alto et soprano, le «meqnin» n'a besoin ni de tambour ni de trompette pour prendre l'envol d'un ange encagé qui ramage à satiété, à n?en plus en finir. Fredonnant d'incompréhensibles «paroles» d'un être trop fier de sa frêle silhouette condamnée à perpétuité pour le passionnel crime de la conquête des c?urs. Tout petit, à peine trois mois, juste l'âge de se rendre tout à coup à l'évidence que les ailes de liberté ont été définitivement détachées, le jeune oiseau attise les convoitises de toutes parts. Les passionnés sont prêts à casser la tirelire. Dans une année ou deux, il deviendra grand et, là, il entonnera les meilleurs chants avec les meilleures notes, loin de son nid laissé à une nouvelle progéniture. Le charivari ne replonge pourtant pas l'oiseau dans la monotonie. Les «cui-cui» vont crescendo pour teinter jovialement la grisaille du jour. La consonance de ses cordes vocales va subitement rappeler aux turbulents qu'un chardonneret n'aime pas trop le tumulte et qu'il lui faut du calme, un silence de cimetière afin de chanter, en proses, le triste sort de sa liberté séquestrée. Et rappeler par ses rythmes lyriques que son narcissisme ne se paie ni par ces liasses empaquetées ni par ce «tebrez» (reprise) narquois qui font, à chaque fois, le bonheur fou des marchands d'oiseaux heureux de se voir décerner copieusement la «palme» de dresseurs de petits animaux auxquels la nature a pourtant tout donné. Tout, même l?innocence d'aller, loin de la nichée de maman, se percher sur un pavot truffé de glu assassine.