Aujourd'hui, rien à signaler aux Pins d'or, la clinique du docteur Millardeau, au bord de l'Atlantique. L'établissement est calme. Comment en serait-il autrement ? La cinquantaine de malades qui séjournent ici sont, pour la plupart, immobilisés sur leurs lits ou, dans le meilleur des cas, assis sur des voiturettes que les infirmières déplacent au gré des besoins et de la météorologie. Ce matin, le docteur Millardeau a rassemblé dans la salle à manger le personnel et les malades qui peuvent se déplacer. Il a annoncé : — Mes chers amis, je vous ai réunis pour vous faire part d'une nouvelle importante. Des circonstances indépendantes de ma volonté m'obligent à vendre la clinique des Pins d'or. C'est chose faite, et la clinique sera fermée à la date du 30 septembre prochain. Bien sûr, nous ferons tout pour le reclassement du personnel dans d'autres établissements de la région. Quant aux malades, ils seront, si besoin est, installés dans d'autres cliniques de même catégorie. Malades et personnel accueillent la nouvelle sans enthousiasme. Voilà trente ans que la clinique du docteur Millardeau fonctionnait. Sa réputation n'était plus à faire et tous les lits étaient occupés en permanence. C'est la fin d'une époque, il faut s'y résoudre. Quelques heures plus tard, un malade reçoit un caillou qui retombe près de sa voiture : — Qui m'a envoyé ça ? Personne ne répond à la question. Le malade, Hervé De Witte, est bien incapable de bouger pour voir où se cache le plaisantin qui vient de lui expédier ce tout petit caillou sur le nez... Aussi décide-t-il d'ignorer la chose et de se rendormir au soleil, sur la terrasse qui donne sur la mer... — Encore ! Qui est-ce qui fait ça ? Un second caillou vient d'effleurer le nez d'Hervé. Lui aussi est retombé sur le dallage de la terrasse. Celui ou celle qui se livre à ce petit jeu, pense Hervé, n'est pas très malin : quelle idée de jeter des cailloux sur un malade qui peut à peine bouger ! Quand l'infirmière vient pour l'emmener jusqu'à la salle à manger commune, il s'en plaint : — Quelqu'un m'a jeté des cailloux. Je n'ai pas pu voir d'où cela venait. J'ai eu l'impression que ça venait du toit. Ce n'est pas très drôle ! L'infirmière regarde Hervé. Elle est perplexe et dit enfin : — Vous aussi, vous avez reçu des cailloux ? C'est bizarre, Mme Lamerson était sur l'autre terrasse. Eh bien, elle aussi vient de me dire qu'on lui avait jeté des cailloux. Et, effectivement, il y avait des cailloux tout autour de sa chaise. Et même que certains étaient plutôt importants. Elle aurait pu être blessée ! — Elle a été blessée ? — Non, absolument pas. Mais elle a nettement ressenti le choc des cailloux. Ou plutôt pas un choc, un sorte de frôlement. Dites donc, monsieur De Witte, vous ne seriez pas en train de nous mener en bateau, vous et Mme Lamerson ? Aujourd'hui, on est le 1er avril, hein ? Cette histoire de cailloux volants est un peu suspecte... Mais enfin, mademoiselle Isabelle... où est-ce que j'aurais pu me les procurer, ces cailloux, à votre avis ? Et Mme Lamerson. Elle est tétraplégique. Vous la voyez en train de ramasser des cailloux ? Et où les aurait-elle cachés ? Isabelle réfléchit : — Oh ! je ne sais pas... Il suffirait qu'un malade ou une malade valide aille les ramasser dans le parc ou sur la plage. Vous savez, il y en a qui s'amusent d'un rien ! Mais à partir de ce premier incident, presque chaque jour des cailloux continuent d'atterrir sur les malades. Surtout sur ceux qui sont en train de se reposer en plein air. Non seulement M. De Witte et Mme Lamerson mais encore une vingtaine d'autres. Et la grande majorité de ces malades sont presque entièrement immobilisés. (à suivre...)