Dans cet entretien, Rachid Tlemçani, politologue et auteur de plusieurs ouvrages relatifs au comportement électoral et à la société civile dont le dernier, publié en 2005 , était intitulé Elite et élections , nous livre son analyse concernant l'attitude des citoyens algériens vis-à-vis des élections, la gestion des collectivités locales, la maturité politique de la société ainsi que d'autres aspects relatifs à l'expérience démocratique dans notre pays. InfoSoir : Comment expliquez-vous le comportement électoral des citoyens dont le choix est plutôt déterminé par les liens de parenté, le tribalisme et les intérêts particuliers ? Rachid Tlemçani : Cette attitude des électeurs peut être analysée sous plusieurs aspects, tant le comportement électoral dans notre société est orienté par maintes considérations. D'abord les programmes des partis politiques sont larges et creux, vastes et abstraits en même temps.Les discours de la classe politique ne reflètent pas la réalité socioéconomique et politique du pays. Les électeurs qui demandent du concret, sont inondés par des programmes flous, ce qui les ennuie et les éloigne des formations politiques. Il faut aussi dire que la tradition électorale ne s'est pas encore ancrée dans notre société, le phénomène du multipartisme étant nouveau. Cette attitude pourrait-elle changer au cours des prochaines années ? Une maturité politique constitue-t-elle une perspective réalisable dans notre pays ? La maturité politique aurait pu être acquise durant ces années du multipartisme, n'étaient les entraves liées notamment à la situation sécuritaire. A la faveur de la stabilité retrouvée, l'attitude électorale franchira de nouvelles étapes notamment si les partis politiques et les autres acteurs de la société civile jouent pleinement leur rôle de sensibilisation. Une chose est claire : la maturité politique doit commencer par les animateurs de la société civile et non pas par la base. Le pilier consiste donc à inciter le citoyen et le rapprocher de la chose politique. Y a-t-il d'autres facteurs qui ont conduit à ce comportement électoral dicté par des considérations apolitiques ? Le phénomène est très complexe et la responsabilité est partagée. Le gouvernement n'a pas fait d'efforts pour expliquer aux citoyens l'importance de la participation électorale et expliquer de façon pratique le contenu de la loi électorale. Aucune institution n'a, pour le moment, fait un effort substantiel pour sensibiliser les citoyens et les éduquer en même temps sur le phénomène électoral. Même dans les manuels scolaires, on doit introduire la démocratie électorale comme cela se fait dans d'autres pays. Pourtant, le ministère de l'Education nationale a introduit l'éducation civique dans les nouveaux programmes … Pourquoi ne pas enseigner dans nos écoles des cours sur le système électoral, l'importance de la participation du citoyen dans la gestion des affaires publiques, les modes de scrutin, etc. ? Justement dans l'éducation civique, on doit consacrer un volet au comportement électoral et non pas se contenter des leçons relatives au volet patriotisme. Il ne faut donc pas se limiter d'inculquer de vastes clichés et des slogans creux à nos élèves car la démocratie participative constitue la seule voie où peuvent s'affirmer l'amour du pays et l'attachement à ses constantes. Dans les slogans improvisés à l'effet de la campagne électorale, l'ensemble des partis prônent le «changement» dont les citoyens ont du mal à saisir le contenu. A défaut de programmes bien définis, les partis s'adonnent au jeu de mots et à des monologues et se contentent de faire valoir leurs bonnes intentions. On sait que tout le monde parle du chômage, mais aucun parti ne possède un plan bien détaillé le concernant. Ces derniers en ont marre des promesses non tenues et exigent des plans d'actions concrets sur la base desquels le futur élu prendra ses responsabilités. Les citoyens ne se retrouvent donc pas dans ces slogans quasi similaires et préfèrent donner leur voix à un proche ou ami sans même prendre la peine d'étudier les propositions des uns et des autres. Le taux de participation serait-il, selon vous, plus élevé que pour les législatives du 17 mai dernier en dépit de tous ces dysfonctionnements ? La participation aux élections locales est toujours plus importante car les gens connaissent les enjeux de ce scrutin liés directement à leur vécu. Le logement social, les lots de terrains, les infrastructures de base et les marchés constituent les principales doléances des électeurs et c'est pour cette raison qu'ils accordent un intérêt particulier à choisir celui qui leur semble plus éligible à prendre en charge leurs revendications. Toutefois, les dernières mesures prises par l'administration et qui ont éloigné les présidents d'APC de ces prérogatives pourraient pousser les citoyens au boycott des prochaines élections. Faut-il donc réviser le code communal en donnant plus de prérogatives aux élus locaux pour inciter les citoyens à aller voter ? Absolument. Il est inconcevable de confier la distribution des logements sociaux au chef de daïra qui est souvent cloîtré dans son bureau et qui ne connaît rien de la réalité des communes, alors que le P/APC élu, issu de la commune et qui doit rendre des comptes aux citoyens en est écarté… Le code communal doit aussi clarifier les prérogatives et les responsabilités des partis composant l'assemblée parce qu'actuellement chacun impute l'incapacité de l'assemblée (où il était membre) à réaliser certains projets aux autres membres. Aujourd'hui, les gens, en votant pour quelqu'un, exigent une contrepartie et veulent savoir en quoi peut contribuer l'élu à améliorer leur vécu. La révision du code communal doit se fonder sur le principe d'élargir la participation citoyenne dans la gestion des affaires de la municipalité. Les candidats sont aussi appelés à fournir davantage d'efforts afin de convaincre les citoyens de participer au scrutin… La société algérienne est une société pré-moderne pour ne pas dire archaïque qui n'a pas encore adopté les moyens modernes de communication. Et c'est pour cette raison que les postulants investissent tous les lieux où se trouvent les citoyens pour transmettre leurs messages. Toutefois, les candidats sont appelés à en finir avec les pratiques archaïques du genre : payer les cafés aux gens, leur payer le transport, montrer une gentillesse de circonstance… Ils doivent évoquer les problèmes actuels et proposer des plans d'action concrets qu'ils comptent mettre en œuvre en cas d'élection. Le temps de la démagogie est révolu, les gens ne demandent que des projets réels.