On raconte que régnait, jadis, un grand Sultan qui s'appelait Haroun Rachid. Sa beauté était incomparable, mais sa sagesse était encore plus grande. Il est même dit qu'il possédait un anneau magique et qu'il pouvait converser avec l'invisible. On raconte aussi comment il s'était exilé à la suite d'un songe. Un ange lui était apparu pendant son sommeil et lui avait annoncé : — Haroun Rachid ! Tu dois vivre sept ans de malheur. Tu as le choix pour accomplir ce destin. Tu peux vivre ces sept années de malheur tout de suite, tant que tu es jeune, ou plus tard lorsque tu seras vieux. Toujours en songe, le Sultan réfléchit et prit sa décision. — Je prie Dieu afin qu'il m'accorde de vivre ces sept années de malheur pendant ma jeunesse car je crains de ne pouvoir les assumer pendant ma vieillesse. A son réveil, Haroun Rachid pria Dieu et essaya d'interpréter son rêve. Le soir suivant, un autre songe lui apparut où l'ange lui ordonna : — Dès demain, il te faudra commencer ta nouvelle vie. Tu dois quitter ton palais et ton pays pour entreprendre un long voyage. Il n'y avait plus de doute, le Sultan devait se soumettre à son destin. Il se prépara, laissa des instructions à son fidèle vizir et prit la route en emportant sur le dos d'une mule deux coffres. Deux coffres d'or pour un roi tel que Haroun Rachid représentaient le dénuement ! Il s'en alla et marcha, marcha... Il entra dans un pays, sortit d'un autre pays, entra dans un pays, sortit d'un autre pays... Un jour, épuisé, il s'arrêta au bord d'un oued pour reprendre son souffle. Soudain, pendant qu'il se reposait, il vit s'enfoncer peu à peu dans la terre sa mule chargée de ses coffres. Il courut, se jeta sur les rênes et tenta de la retenir. Rien n'y fit. Il tira sur les cordes et les chaînes qui maintenaient les coffres d'or mais tout s'engloutit sous ses yeux. Les chaînes se brisèrent et Haroun Rachid, désarmé, vit ses richesses disparaître. Il comprit que rien ne pourrait arrêter son destin et que ses sept ans de malheur venaient de commencer. Résigné, il alla au devant d'un berger qui faisait paître son troupeau de moutons. Il le salua et lui proposa : — Ô toi, honorable berger ! Accepterais-tu mes somptueux vêtements contre un agneau et ta djellaba usée ? De cet agneau, je ne prendrai que la panse et les boyaux, je te laisserai le reste. Le berger se réjouit : — Eh bien ! Il faut croire que Dieu a décidé de m'habiller et de me régaler de viande. C'est mon jour de chance. Après cette réflexion, l'homme sacrifia l'agneau, le dépeça et enleva la panse et les boyaux qu'il donna à l'étranger. Bien évidemment, le pauvre berger ignorait qu'il avait devant lui le grand Haroun Rachid. Il l'avait pris pour un riche marchand qui avait perdu la tête. En effet, il l'observa avec curiosité lorsqu'il le vit saler la panse et la plaquer sur sa tête pour recouvrir ses cheveux. On aurait dit un teigneux. Ensuite, il enroula le boyau autour de son front en guise de turban et reprit sa route. Partout où il passait, les gens l'appelaient : Lagraâ Boukercha (le teigneux à la panse). Ainsi, le grand Sultan Haroun Rachid continua à voyager en mendiant son pain, subissant les humiliations et travaillant pour les autres. Un jour d'entre les jours, il arriva dans un pays où régnait un autre grand Sultan, père de sept filles, toutes plus belles les unes que les autres. Haroun Rachid s'y arrêta et demanda du travail au palais. Il fut engagé comme garçon d'écurie. (à suivre...)