Il était une fois, un pauvre paysan qui vivait paisiblement avec sa femme et son fils nouveau-né. Après une année de sécheresse, la famille fut contrainte de partir. L'homme prit la route le premier à la recherche d'un travail. Il arriva devant une ferme qui appartenait à une femme riche et d'une grande beauté. Il se présenta et fut engagé comme khammas (ouvrier agricole). Il devait cultiver la terre et s'occuper des bêtes. Au retour, il annonça à sa femme : — Plie la khaïma (tente), j'ai trouvé un travail. Nous allons être plus prospères. Ils s'en allèrent. L'épouse planta la tente à peu de distance de la ferme et une nouvelle vie commença. L'homme travaillait dans les champs dès le matin et ne rentrait que tard le soir. Pendant ce temps, la femme s'occupait des tâches ménagères et du bébé. Pour faire le feu, elle allait glaner dans les champs quelques brindilles et bouses de vache séchées. Il lui arrivait d'apercevoir la fermière parée de jolies robes rôder autour de la tente. Elle la trouvait belle, mais elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une vague appréhension. De plus, elle s'inquiétait car elle changeait son bébé avant de sortir et le trouvait mouillé et mal en point lorsqu'elle revenait. Elle fit part de sa crainte à son mari : — Cette femme me fait peur. Elle me paraît étrange et j'ai l'impression qu'elle nous guette en permanence. De plus, j'ai trouvé notre enfant tout visqueux et bleu dans son berceau. Le mari se fâcha : — Tu es jalouse parce qu'elle est belle. Or, elle avait raison de s'inquiéter car la fermière était en réalité une redoutable ogresse. C'est elle qui se saisissait du bébé, I'avalait et le régurgitait à plusieurs reprises. Elle patientait ainsi en attendant le moment propice pour manger toute la famille en même temps. Les jours passaient et l'inquiétude gagnait la femme qui pressentait un danger. Une nuit, elle fut réveillée par le chien qui aboyait : — Ouah ! Ouah ! L'ogresse approche, I'ogresse approche. Ouah ! ouah !... Elle sursauta, alluma la lampe, et réveilla son mari qui se moqua de son récit. Le lendemain, le chien disparut et personne ne sut ce qu'il en était advenu. L'ogresse l'avait dévoré. La nuit suivante, c'est le pilon qui réveilla la femme. Il frappait dans le mortier qui sonnait : — Dong ! Dong ! L'ogresse approche, l'ogresse approche. Dong ! Dong ! ... La femme réveilla son mari. Il se moqua d'elle et la réprimanda. Le lendemain, le mortier fut retrouvé brisé en deux. La femme prit peur et décida de fuir. Après le départ de son mari aux champs, elle emmaillota le pilon et le posa dans le berceau à la place du bébé qu'elle cacha sous son voile. Elle sortit et fit semblant de ramasser l'ougaid (combustible, généralement de la bouse de vache séchée) comme d'habitude. Peu à peu, elle s'éloigna sans éveiller les soupçons de l'ogresse qui rôdait et se sauva. L'ogresse jeta un coup d'œil dans la khaïma et fut rassurée par la présence de la forme du bébé dans le berceau. Quand le mari rentra, il fut surpris de ne pas trouver sa femme et se mit à l'attendre. Un moment après, il reçut la visite inhabituelle de la fermière. C'était le jour qu'elle avait choisi pour dévorer la famille. Elle s'était dit : — Je me régalerai du père en premier, ensuite j'avalerai le bébé et j'attendrai le retour de la femme pour me rassasier. (à suivre...)