Bonne nuit, maman, dors bien, je viendrai demain vers 6 heures. Si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas à m'appeler. Mais, de toute façon, Mme Lacroix est là pour t'aider. C'est ainsi que le docteur Romaneix prend congé de sa mère, Adélia Romaneix, âgée de quatre-vingt-quatre ans. Adélia Romaneix, depuis quelques mois, n'est plus capable de vivre seule. Elle perd un peu la tête, comme on dit, et il a fallu envisager une solution à ses problèmes. Le plus simple a semblé de lui louer une chambre avec salle de bains chez les Lacroix. Ainsi, elle bénéficie d'un environnement familial tout en gardant une certaine indépendance. Son fils, le docteur Romaneix, est célibataire et trop souvent absent pour pouvoir veiller sur sa chère maman. La «chère maman» n'a d'ailleurs pas un caractère facile. Avec les années, elle se montre de plus en plus difficile à vivre. Elle s'exprime haut et fort : — Ah oui, cette Mme Lacroix, parlons-en ! Avec ses chats qui courent partout... Je l'intéresse moins que ses sales bestioles. Et cette manière de vouloir à tout prix m'appeler par mon prénom : Adélia par-ci, Adélia par-là. Et puis, le matin, elle me sert toujours du café au lait froid. Ça me tape sur le foie. — Mais non, maman, tu as la fâcheuse manie de t'endormir en faisant les mots croisés au lieu de prendre ton petit-déjeuner. Bon, il faut que je file. A demain. Et j'aimerais tellement que tu perdes l'habitude de fumer, surtout quand tu es déjà étendue sur ton lit. Ça peut être très dangereux. — J'ai commencé à fumer à quinze ans et c'est le seul petit plaisir qui me reste. ça et la télé. Alors, si tu permets, laisse-moi vivre comme je l'entends. Bonsoir ! Adélia Romaneix se concentre sur le programme de la télévision. Pour elle, la cause est entendue. Pascal Romaneix hoche la tête, d'un air de dire : «Sacrée tête de mule ! Enfin, c'est ma mère il faut la prendre comme elle est.» Adélia Romaneix est étendue sur son lit en chemise de nuit sous sa robe de chambre en laine des Pyrénées. Elle a les pieds nus dans des babouches rose et bleu que son fils lui a rapportées d'un voyage en Italie. A côté d'elle, sur le couvre-pied, son programme télé, la télécommande, son paquet de cigarettes blondes, son briquet et son cendrier... Pascal Romaneix se penche pour l'embrasser sans qu'elle daigne l¦i jeter un regard. Il ignore qu'il embrasse sa mère pour la dernière fois. Le lendemain matin, le soleil brille et Mme Lacroix s'approche de la chambre de Mme Romaneix. (à suivre...)