Il était une fois un homme très paresseux. Il avait deux femmes : l'une assez éveillée et l'autre bègue et sotte. Quand vint la bonne saison, après les pluies, la première femme lui donna une mesure de fèves et lui dit : — Va les semer. L'homme se rendit dans le champ, mangea les fèves, fit la sieste et retourna chez lui en annonçant à ses femmes : — J'ai tout semé. Quelle bonne récolte nous allons faire ! Le lendemain, il reçut une autre mesure. — Va et continue car ce n'est pas encore fini, il te reste plusieurs mesures à semer, lui dit encore sa première femme. Ainsi, l'homme continuait à déguster les fèves pendant toute la journée à l'ombre d'un figuier et rentrait le soir, l'air bien satisfait. Et à la question : — As-tu semé les fèves ? Il répondait toujours : — Oui, je les ai toutes semées. Quelle bonne récolte nous allons faire ! Il continuait à manger ce qu'il devait semer sans se soucier du lendemain et ses femmes croyaient qu'il faisait son travail. Le temps passa et la saison de la récolte arriva. Les deux femmes, qui étaient enceintes, attendaient cette période avec impatience. La première interrogea le mari qui passait son temps à dormir : — Dis ! Crois-tu que nos fèves ont poussé ? — Oui ! Vous pouvez aller les ramasser. — Dans quel champ les as-tu semées ? — Jetez ce tamis dans la rivière et laissez-le suivre le cours de l'eau. Là où il s'arrêtera, ce sera notre champ. Les femmes posèrent le tamis qui fut emporté par un léger courant. Elles le suivirent en marchant au bord de la rivière tout en conduisant l'âne qui devait transporter la «bonne récolte» annoncée par le mari : soudain, le courant projeta le tamis sur le rivage près d'un vaste champ de fèves. Les femmes attachèrent leur âne à un arbre et commencèrent la cueillette. Elles ne pouvaient pas soupçonner qu'elles étaient dans le champ de l'ogresse. La non-bègue ordonna à la bègue : — Oh la bègue ! Va voir si l'âne est toujours là. — Oui l'âââââââne est toutoutou... jours là, essaya d'articuler la pauvre femme. L'ogresse qui guettait et rôdait alentour, avait déjà dévoré l'âne et dressé ses grandes oreilles sur deux piquets qu'elle avait plantés au milieu des herbes hautes du champ. En voyant les oreilles, la bègue croyait voir l'âne. La première femme continuait : — La bègue ! Va voir si l'âne est toujours là. — Ouiiii, les jojojojolies orei... orei... oreilles de l'âââââââne sont bien dres... dres... dressées. Ainsi, les deux femmes continuèrent à cueillir les fèves jusqu'à remplir un grand sac. C'est à ce moment-là que l'ogresse, qui était arrivée en marchant doucement, à petits pas, se présenta devant elles. Au lieu de les dévorer comme on aurait pu le croire, elle écarta les bras pour les embrasser : — Oh ! Mes nièces, les filles de ma sœur. Et dire que je ne vous ai pas vues depuis si longtemps. Puisque vous êtes arrivées jusque-là, je ne vous laisserai pas repartir sans dîner. La cueillette des fèves a dû vous fatiguer. Les femmes, touchées par un accueil si chaleureux, acceptèrent l'invitation. (à suivre...)