Coutumes n Les Khenchelis continuent à préparer, chaque année, l'arrivée du printemps localement appelé Rabi laârab (printemps arabe), devançant le printemps astronomique d'une vingtaine de jours. Parmi les signes annonciateurs de ce moment tant attendu, les plus visibles sont, à en croire les vieux Khenchelis, le commencement de la fonte des neiges, l'étirement accéléré du jour par rapport aux longues nuits d'hiver, la feuillaison des arbres, l'apparition de certaines larves d'insectes et le début de la saison des amours pour nombre d'animaux. Rien de bien original en réalité mais, ici, c'est la tradition, c'est un repère important et on y croit. Rabi laârab fait partie, avec leftira, h'ssoum, el-layali el-bidh et el-layali essoud, d'une longue liste de noms véhiculés par la tradition orale pour désigner les changements climatiques cycliques qui surviennent durant l'année et au fil des saisons. Seuls les plus âgés savent situer, avec une relative précision, ces périodes, expression de la conception traditionnelle d'un calendrier séculaire, qui était employé dans le passé par les populations rurales de la région pour organiser leurs activités en fonction à la fois de leurs besoins et des changements climatiques périodiques. Chaque début de période nouvelle était accueillie par un cérémonial particulier dont il ne reste aujourd'hui que des survivances. C'est que le début du «printemps arabe» ne survient pas à une date fixe, mais exprime un changement s'opérant dans la nature et observable par les seuls connaisseurs, ceux censés être parfaitement à l'écoute de la nature. Pour un ancien de la région de Baghaï, Ahmed Hamzaoui, nul ne doit déroger à la règle : le printemps, «roi des saisons» s'il en est, doit être accueilli, accompagné et salué à son départ comme il se doit par respect à la nature qui amorce, à l'occasion, son renouveau végétatif. La joie et le sentiment de bonheur qui l'accompagne, explique le vieil homme, s'expriment surtout, dans ces contrées, par des préparations pâtissières traditionnelles qui ajoutent du charme et de la convivialité aux réunions familiales et renforcent l'idée que le printemps symbolise d'abord et avant tout l'éveil de la nature, synonyme de luxuriance, d'abondance et de bons présages pour la communauté, après les dures journées de l'hiver enfin passé. Un peu comme dans tout l'Est algérien, el-braj, une pâtisserie traditionnelle à base de semoule et de dattes, reste le gâteau fétiche et le plus souvent offert, avec du café ou du thé, pour accueillir la belle saison. Partout, il ravit la vedette aux r'fiss, chakhchoukha et autre Merchouch. Dans la région de Djellal, dans la partie saharienne de Khenchela, le mets le plus apprécié pour célébrer le printemps est ezzerikia, un mélange de blé, de miel, de beurre et de sucre, présenté également avec les incontournables braj et r'fiss. Le printemps qui s'installe c'est aussi un moment de liberté pour les femmes rurales, qui retrouvent des activités que la neige et le froid d'un rude hiver aura rendues difficiles sinon impossibles. Elles arrachent l'herbe pour les animaux de la ferme, apportent l'eau, font paître les petits troupeaux et assistent les hommes dans une multitude d'autres tâches agricoles. Ces coutumes simples, mais si précieuses, sont-elles en voie de disparition ? Foudhil de l'Association de wilaya de protection du patrimoine pense que ces us réconcilient la société d'aujourd'hui avec son passé et doivent être, donc, protégés, ressuscités puis inculqués aux plus jeunes.