Marie Marcoz n'a rien, sauf sa beauté. Son père est un drapier lyonnais. Pendant toute sa petite enfance, la ville de Lyon est agitée par les troubles et les haines engendrés par la Révolution. Joseph Fouché parle rien moins que de raser la ville. En 1802, Marie Geneviève Marguerite Marcoz devient l'épouse d'un camarade d'enfance, Jean Talandier, marchand de chapeaux. Il est plus jeune qu'elle, et chacun apporte 20 000 francs de dot dans le ménage. Leur union est bénie du ciel, puisque Marie donne bientôt le jour à une petite fille : Geneviève Amélina. Le train-train s'installe, jusqu'au moment où Jean annonce une grande nouvelle : «Nous devons partir pour Rome. C'est là que l'on trouve les ouvriers les plus habiles et les moins onéreux. Si je veux développer notre commerce, je dois aller ouvrir un bureau là-bas. Bien sûr, vous m'accompagnez toutes les deux.» Et c'est la raison pour laquelle Marie vit aujourd'hui, en 1814, à Rome. Une ville remplie d'artistes, où l'amour peut fleurir au détour de chaque colonne antique, sortir de chaque pavé. Rome qui, à l'époque, est française tout autant qu'italienne. La ville est bourdonnante d'activités, tant commerciales qu'esthétiques. Les artistes étrangers amoureux de l'Antiquité viennent chercher l'inspiration de ce style que le peintre David a rendu presque obligatoire. En haut du Pincio, la Villa Médicis accueille pour plusieurs années les peintres, sculpteurs et musiciens à qui l'on a décerné le Prix de Rome. Jean-Dominique Ingres fait partie de ces heureux élus. Malheureusement, le séjour offert par la France ne peut durer plus de quatre ans. Au bout de ces quatre années, Ingres doit quitter la Villa. Il veut rester à Rome et, pour y parvenir, doit trouver à se loger. Il lui faut aussi trouver assez d'argent pour subsister. Il se met alors à dessiner, pour des sommes modiques, des petits portraits, d'ailleurs admirables. Le préfet de Rome est le baron de Tournon. Représentant de l'Empereur, il se doit de soutenir le prestige de son maître en donnant de nombreuses fêtes où se côtoient nobles et artistes, arrivistes et jolies femmes. Marie Talandier, qui est invitée, est bientôt grisée par tous ces hommes charmants qui lui font les yeux doux. Sans doute cède-t-elle à quelques avances ; mais elle n'entend pas faire de Jean un cocu. Alors, elle demande le divorce, et garde sa fille. Comme elle a quelques biens propres, elle se loge dans le quartier du Trastevere. Elle y reçoit avec grâce ceux qui veulent lui faire des compliments et jouir... de son esprit. On la surnomme «la belle Trastévérine». Parmi ceux qui fréquentent sa maison figure Alexandre de Sénonnes. Il est riche, il est beau, il est amoureux, il a échappé à la tourmente révolutionnaire. Il est noble et il adore la peinture. Il se montre sensible à la beauté de Marie et n'hésite pas à lui proposer sa tendresse. Elle accepte, il est libre, elle aussi. Ils se marient. La toute nouvelle Madame de Sénonnes, toujours très élégante, d'une suprême beauté, est la reine de ces fêtes romaines, et on la voit souvent en conversation avec le général Miollis, gouverneur militaire, ou M. Norvins, directeur des Eaux et Forêts. Dans la foule qui se presse sous les lambris dorés, les adorateurs de la belle Marie sont nombreux. Mais nombreuses aussi les langues de venimeuses qui colportent des propos déplaisants : «C'est une aventurière ! Une parvenue !» (à suivre...)