En 1793, les révolutionnaires enragés décident d'extirper les racines du despotisme et de la race honnie des Bourbons, en allant déloger dans la basilique de Saint-Denis les rois, les reines et les princes qui y dormaient depuis des siècles. Non seulement ils violent les tombes, extirpent les squelettes ou les cadavres des meilleurs de nos rois, mais ils en jettent les viscères au vent, ils brisent autant que possible les monuments et anéantissent les superbes verrières qui dataient de l'époque de Saint Louis. Alexandre Lenoir, qui sera plus tard le directeur d'un bric-à-brac archéologique appelé le musée des Monuments français, s'interpose comme il peut pour sauver des mains de ces nouveaux vandales un maximum de statues, de sculptures et de restes royaux. Des légendes commencent à circuler. On parle d'un citoyen britannique, un certain docteur Buckland, qui aurait dévoré les restes du cœur de Louis XIV. Mais les Anglais mangent de si étranges choses, après tout. Sous le règne de Louis XVIII, propre frère du malheureux Louis XVI, un architecte vient à mourir. Nous sommes en 1818. L'année suivante, les héritiers liquident par vente publique les biens du regretté défunt. On appose des affiches qui préviennent les populations. Les biens de l'architecte, un certain Petit-Radel, comprennent des meubles et des collections d'objets d'art. C'est M. Petit-Radel qui est mort, et c'est M. Petit-Guenot, commissaire-priseur, qui procède à la vente. Un amateur intéressé, Philippe-Henry Schunck, qui demeure au 26 de la rue d'Artois, assiste à la vacation. «Voici à présent un lot de treize plaques de cuivre. D'après les inscriptions qu'elles portent, il semble que ces plaques aient été autrefois apposées sur les urnes qui contenaient les cœurs des anciens princes et princesses de la famille de France.» En 1819, les Bourbons sont sur le trône de France. Les légitimistes n'hésitent pas à afficher leurs opinions, bien au contraire. C'est pourquoi, dès que les plaques respectables sont mises en vente, un inconnu fait monter les enchères. Plaque après plaque, il emporte douze des précieuses reliques. On ne sait trop pourquoi – négligence, inattention –, une seule arrive entre les mains de M. Schunck. Et pas des moindres : il s'agit de la plaque qui ornait l'urne dans laquelle reposait le propre cœur de Louis XIV, le Roi-Soleil. M. Schunck en devient le légitime propriétaire pour la modique somme de 9 francs. M. Schunck est heureux de son achat, mais il voudrait en savoir davantage sur l'histoire de sa relique. Il se lie avec un ami du défunt Petit-Radel, qui pourrait en savoir plus. Celui-ci est peintre et se nomme Saint-Martin. M. Schunck lui fait savoir qu'il aimerait se rendre acquéreur de l'une de ses peintures. Quand Schunck, sans en avoir l'air, aborde le problème des plaques de cuivre princières, Saint-Martin rechigne à en parler. Enfin, devant l'insistance de son visiteur, il consent à en dire plus : «En 1793, comme vous le savez, la basilique de Saint-Denis a été profanée d'une manière imbécile. Mon ami Petit-Radel, qui était architecte à l'époque, a été chargé de surveiller les opérations. Non seulement à Saint-Denis, mais encore au Val-de-Grâce... C'est passionnant ! Et que s'est-il passé ?» M. Schunck, s'il avait été plus érudit en ce qui concerne l'histoire des restes royaux, aurait dû faire remarquer à Saint-Martin que la plaque dont il était propriétaire ne provenait ni de Saint-Denis ni du Val-de-Grâce. Elle ornait, on l'a dit, l'urne contenant le cœur du Roi-Soleil, Louis XIV. Et cette urne, de même que celle de son père, le roi Louis XIII, se trouvait dans l'église des Grands Jésuites, rue Saint-Antoine. (à suivre...)