Mustapha est un jeune homme de 35 ans. Robuste, il a une passion sans limites pour l'agriculture. Il est agent de sécurité dans une structure de santé. Son temps libre, il le passe à travailler comme ouvrier agricole dans les exploitations agricoles collectives des environs. «Cela me permet d'arrondir mes fins de mois, mais si je fais ce travail c'est surtout par vocation. Je suis issu d'une famille d'agriculteurs.» Son père, aujourd'hui retraité, a passé toute sa vie à travailler la terre et c'est à ce titre qu'il s'est retrouvé dans un village agricole. Celui de Souidania précisément. Il se souvient de son enfance passée dans le village socialiste. «Je dois dire que nous avons eu une enfance tout ce qu'il y a de plus normal. Avec mes frères et sœurs, nous n'avons manqué de rien. Le salaire de notre père était largement suffisant pour une famille de 6 membres. D'autant plus qu'il n'achetait presque jamais les fruits et légumes qu'il prenait gratuitement de la ferme.» En sus, toutes les infrastructures étaient disponibles au niveau de la ville qui était à un jet de pierre du village : école, centre de santé, maison de jeunes… Mustapha se souvient particulièrement de sa joie lorsqu'un jour, en rentrant le soir, son père a rapporté un petit téléviseur noir et blanc. Tout ce qu'il faut à un enfant pour être heureux était donc disponible. Que ce soit à l'intérieur de la maison ou à l'extérieur. Les enfants des villages socialistes n'avaient rien à envier à ceux des villes», assure-t-il. «On n'aurait jamais dû interrompre la révolution agraire», regrette-t-il. Il va plus loin en affirmant que les malheurs de l'agriculture algérienne ont commencé avec la création des Exploitations agricoles collectives (EAC) et individuelles (EAI) vers 1986. «C'est là que les affairistes de tout bord se sont mis de la partie et que les terres agricoles ont commencé à être bradées», dénonce le jeune homme. Le béton a fait le reste. Les agences foncières, les APC et toutes les autorités locales ont une responsabilité, à ses yeux, dans le détournement des terres de leur vocation première. Cet attachement sans faille à la terre, on ne le retrouve pas chez les autres jeunes du village qui donnent l'impression de vouloir se détourner à tout prix du métier de leurs parents. «La terre ne nourrit plus ceux qui la travaillent», résume Kamel, 25 ans. Hors de question pour lui – et pour ses copains, précise-t-il – de travailler la terre. Il est pourtant au chômage. Il se contente de petits métiers dans le bâtiment, et, surtout, dans le commerce informel. Plusieurs de ses camarades sont dans la même situation et leurs rêves ne diffèrent pas trop de ceux des autres jeunes Algériens de leur génération : le visa, l'étranger… Des années fastes de la révolution agraire et de la construction du village, ils ne se souviennent pas. Leurs souvenirs sont plutôt amers. Les maigres pensions des parents qui se sont traduites par des privations au quotidien, l'avènement des EAC et les luttes entre des gens nantis pour la propriété de parcelles entières, le terrorisme qui, même s'il n'a pas touché directement le village, n'a pas épargné les localités avoisinantes… Leur regard est plus que jamais détourné des vastes étendues verdoyantes…