Cent ans après sa fondation, l'Ecole des Beaux-Arts du Caire vise toujours à former les artistes d'Egypte mais dans le conformisme et sans modèle nu pour ne pas «outrager» l'islam. C'est vers cette ruche académique, abritée dans une villa néo-classique de l'île de Zamalek, que convergent de tout le pays 2500 étudiants et étudiantes, aujourd'hui voilées pour la plupart. Depuis sa création en mai 1908, sur le modèle des écoles européennes des Beaux-Arts par le prince mécène Youssef Kamal, de grands noms de l'art égyptien sont passés par ici à la suite du sculpteur Mahmoud Moukhtar. Mais il est révolu le temps où l'on apprenait, comme ailleurs dans le monde, à dessiner, peindre ou sculpter le corps humain et ses mouvements face à un être nu. «On n'a plus que des bouquins d'anatomie ou des photos», dit Ahmad Gamal, 20 ans, étudiant en 2e année. «Mais une photo, c'est déjà le regard d'un autre, cela ne convient pas, c'est à nous de forger notre vision.» Kamal Moughith, expert en sciences de l'éducation, affirme que «ce sont les islamistes qui avaient lancé ce combat au nom de la vertu et contre les valeurs occidentales, le pouvoir et la direction de l'école ont suivi». Au début du XXe siècle, le théologien réformiste Mohammad Abdou avait pourtant estimé que cette interdiction était d'un autre temps. Ainsi, miroir de l'évolution de la société, la pudibonderie a gagné les arts. Il y a dix ans, des nus du grand peintre Mahmoud Saïd, décédé en 1964, n'ont pu être exposés dans une exposition rétrospective. «Nous vivons une catastrophe, quand on pense qu'avant la question ne se posait pas», estime le critique d'art Ahmed Fouad Selim. Au sein de l'école, des élèves et enseignants disent, comme Mohamed Abbas, que l'absence des modèles nus «affecte beaucoup et négativement l'enseignement des lois du corps». Mais d'autres ne s'en offusquent guère. «Il n'y a pas que l'anatomie, l'art ce n'est pas que dessiner des corps», dit Shayma Magdi, un étudiant. Peut-on parler d'un déclin des Beaux-Arts ? Pour les galeristes, la réponse est oui. «Les jeunes de moins de 30 ans qui en sortent ne sont ni originaux ni cultivés, ils sont tombés dans le décoratif», disent-ils.