Pour ce chauffeur de taxi, le jumelage est une nécessité. Trois femmes sont déjà installées à l?arrière du taxi. Une Renault 19 en très bon état. Un signe de la main et le chauffeur, un homme barbu la quarantaine consommée, serre à droite. Pas question, doit-il se dire, de rater un client en cette chaleur caniculaire surtout à Ben Aknoun. «La Grande-Poste ya kho !» Des versets coraniques s?échappent du poste radio. A l?arrière, une discussion timide est engagée à voix basse. On parle de tout, de la vie, des voisines, etc. Arrivées à El-Biar, les femmes veulent descendre. «40 DA mesdames.» Un tarif plus qu?abordable pour les trois clientes. Le chauffeur recevra, en guise de pourboire, 10 DA. A côté, la station des taxis collectifs. L?anarchie y règne à longueur de journée. Ici, dès qu?un taxi marque un arrêt «éjectant» ses clients, d?autres prennent le relais forçant presque les portières avant et arrière. Quelques dizaines de mètres plus loin, des bras sont tendus demandant au taxi de s?arrêter. Le chauffeur, placide, refuse beaucoup de citoyens et n?y prête même pas attention. Il marque cependant un arrêt pour un client à destination de l?hôtel El-Aurassi. Un signe de la tête et le client monte. Un bref coup d??il vers le taximètre, histoire de mémoriser le chiffre inscrit, et le chauffeur enclenche la première vitesse. Plus loin, deux femmes, accompagnées d?un petit garçon, lui font un signe de la main puis se rétractent. Elles ont dû apercevoir le client à l?arrière. Même le chauffeur aurait sûrement refusé de s?arrêter. Et hop, il marque un second arrêt et serre à droite. «Audin mon frère», lui lance ce jeune homme avant de s?installer. Pour ce chauffeur de taxi, le jumelage est une vertu, une nécessité même si la loi l?interdit. Le chauffeur n?a même pas daigné demander l?avis de sa clientèle. Pour lui, il n?y aura pas de réponse négative. À proximité du ministère de la Défense, le client demande l?arrêt et tend 50 DA. Le chauffeur jette un coup d??il en direction du taximètre puis lui rend sa monnaie : 20 DA. Et cap vers Audin. Le bonhomme entamant sa descente sur l?avenue Docteur Saâdane ignore superbement les bras tendus et les sifflets tout en replongeant dans les versets du Coran. Petit embouteillage à l?avenue sus-citée. Les véhicules sont collés l?un à l?autre. Le mercure monte, puis la circulation reprend. Arrivé au terminus, à la place Audin à proximité de la Faculté centrale, le taxi est déjà pris d?assaut. Le chauffeur refuse la destination Ben Aknoun et opte plutôt pour El-Biar. «50 DA mon frère», lance le chauffeur au client à l?arrière du véhicule après avoir observé les chiffres affichés par le taximètre. Le client lui rétorque qu?il avait pour habitude de payer 40 DA seulement pour ce même trajet. «C?est l?embouteillage», répond le chauffeur lui tendant 10 DA. Le client refuse gentiment, le remercie puis s?en va. Se retournant vers le dernier client, notre «taxieur» fait un calcul, alors que le taximètre affichait le prix de la course, et lance : «70 khouya.» Total de ce trajet, le taximan a ramassé la modique somme de 190 DA. Clients embarqués, cassette du Coran relancée, le chauffeur part pour une autre course, un autre trajet.