Vision n Il faut revoir le recours systématique au médicament dans le traitement des maladies mentales, et ce, au détriment des relations humaines. C'est le thème débattu par un parterre de psychiatres et de médecins légistes durant deux jours, à la fin de la semaine écoulée, lors de la 3e rencontre internationale sur «la mondialisation et la normalisation de la psychiatrie». Organisée à l'université Saâd- Dahlab de Blida par le service de psychiatrie médico-légale de l'Etablissement hospitalier spécialisé (EHS) Frantz-Fanon que dirige le professeur Bachir Ridouh à la mémoire des pionniers de la psychiatrie algérienne, Frantz Fanon et Dr Khaled Benmiloud, cette rencontre a débattu de la problématique de la santé mentale et sa meilleure prise en charge dans le contexte de la mondialisation. Le Pr Ridouh a appelé à la mise en place d'une «psychiatrie démocratique» pour une plus grande autonomie des patients dans le but d'affronter la psychiatrie moderne basée sur la médicalisation automatique des sujets présentant des troubles psychiatriques. Il considère l'entraide et l'autothérapie comme étant le moyen le plus simple pour le traitement des maladies psychiatriques par le dialogue psychiatre-patients et patients-familles. «On a tendance à psychiatriser les comportements et on devrait, à travers cette rencontre, revenir à la psychothérapie institutionnelle de Fanon basée sur les relations humaines. La psychiatrie d'aujourd'hui se base malheureusement sur la thérapie médicamenteuse», nous a-t-il indiqué, en expliquant : «si on est mal dans sa peau ou qu'on déprime, on doit être écouté au lieu de prendre des médicaments pour se calmer.» Le Pr Ridouh n'a pas omis d'encourager le geste de générosité envers les enfants victimes des massacres de Bentalha qui ont été recueillis par leurs proches. «ce geste a atténué le choc de ces enfants qui avaient perdu leur famille et évité les problèmes psychiatriques graves ainsi que l'exclusion», a-t-il repris. C'est l'un des aspects essentiels qui devrait encourager à revenir à l'être humain. Selon lui, «la maladie mentale touche beaucoup plus les pauvres, les exclus et les déshérités qui sont les parents pauvres de la psychiatrie. Que faut-il faire pour eux ?» «allons-nous psychiatriser toute leur existence et les médicaliser sur tous les plans ?», s'est-il interrogé. Pour sa part, le philosophe italien Pier Angelo Di Vittorio nous a parlé de Basaglia, le père de la psychiatrie dans son pays, ayant initié, tout comme Fanon, la gestion humanisée de l'hôpital psychiatrique. «Les asiles psychiatriques en Italie étaient un enfer pour les malades dans les années 1950 et c'est grâce à Basaglia, leader de la transformation de la psychiatrie, que l'aspect thérapeutique et politique général a été introduit dans la psychiatrie», a-t-il souligné. n Pour ce qui est du volet juridique, l'expert et magistrat tunisien, le Dr Fethi Mimouni, professeur aux facultés de droit et de médecine, a appelé à la création d'une certaine interdisciplinarité entre juristes et psychiatres. «Le juge doit connaître le concept de la psychiatrie, les étendues de la science psychiatrique et les limites de l'intervention du psychiatre dans les procédures pénales. Cette collaboration doit se faire dans un état d'échanges et pas d'opposition», nous a-t-il déclaré. Comme il existe des points de ressemblance entre son pays et l'Algérie, le Dr Mimouni a appelé à la création d'une formation spécifique en droit et en sciences psychiatriques «à travers laquelle on doit respecter la légalité des crimes et des peines ainsi que le principe du droit pénal. L'Algérie et la Tunisie devraient travailler ensemble, vu la ressemblance du domaine de psychiatrie pour mieux valoriser l'expertise psychiatrique qui est une institution procédurale importante dans un procès équitable.»