J'ai encore le souvenir d'une aventure qui est arrivée à l'un de mes confrères. Il reçoit la visite d'une jeune femme élégante, qui lui dit en substance : «Je suis l'amie d'un peintre et celui-ci bien que marié, désire me constituer un petit capital pour me mettre à l'abri du besoin. Il vient donc de m'offrir son fonds d'atelier.» Le fonds d'atelier d'un peintre, c'est l'ensemble des œuvres qu'il possède chez lui : tableaux qui n'ont pas été commercialisés, parfois inachevés, études, esquisses ou toiles abouties. Bref, ce monsieur, qui apparemment n'avait pas de problèmes d'argent, avait dit à la dame : «Prends toutes les toiles qui sont dans l'atelier, et fais une vente à ton profit.» Il y en avait un certain nombre, puisqu'il fallut deux journées pour tout vendre. Quand on vend un atelier d'artiste et que les toiles sont de qualité, ce qui était le cas, on fait d'abord un catalogue ; mon confrère demande à la jeune femme une notice biographique concernant l'auteur des tableaux : lieu et date de naissance, résidence, principales expositions particulières ou collectives, éventuellement les noms des musées en France et à l'étranger qui possèdent des œuvres de l'artiste. Le nom du peintre, Uberti ne lui disait absolument rien. La dame donne des détails : ce peintre réside habituellement en Espagne, il a participé à telle et telle exposition, à telle date, etc. Puis on procède à la confection du catalogue, illustré de photographies en couleurs et arrive le jour de la première vente : elle se déroule le mieux du monde, à la plus grande satisfaction de la cliente et du commissaire-priseur. Le problème c'est que, entre les deux ventes, une rumeur commence à enfler : on dit que le fameux Uberti est un peintre qui n'existe pas. Un commissaire-priseur et non des moindres, enfourche ce cheval de bataille et menace de saisir les instances supérieures de la profession. Du coup, mon confrère convoque la cliente et lui demande des explications détaillées sur ce mystère. Au bout d'un moment, la dame, assez gênée, craque : «En fait, Uberti n'est que le nom de peintre de mon amant. Il s'agit de M. X., qui est marié, comme je vous l'ai dit, et qui en dehors de sa passion pour la peinture, exerce la profession d'avocat.» Assez ennuyé, mon confrère, avant la seconde vente, fait paraître un avis disant en substance : «Suite à la première vente des toiles du peintre X, dit Uberti, nous avertissons tous les clients qui se sont portés acquéreurs d'une œuvre qu'ils peuvent s'ils le désirent et s'ils estiment qu'il y a eu une ambiguïté quant à la personnalité de l'artiste nous contacter à l'étude afin d'annuler la vente qui les concerne. Ils seront remboursés intégralement du prix qu'ils ont payé.» Initiative dangereuse, mais honnête, car la biographie d'Uberti, inventée par la dame, était complètement bidon ! Heureusement l'honnêteté paie, car il n'a pas eu à sortir un seul centime : aucun des acheteurs des tableaux de la première vente n'a demandé le remboursement, et le résultat de la seconde vente a été très satisfaisant...