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Elisabeth Leuvrey (Cinéaste)
Le lieu inespéré de l'entre-deux
Publié dans El Watan le 05 - 04 - 2007

Elisabeth Leuvrey est née en 1968 à Alger. Elle rentre en France en 1974. Jusqu'en 1993, elle étudie le russe à l'Ecole des langues orientales de Paris. En 1991, elle devient assistante-réalisatrice de Jean Luc Léon. En 1998, elle réalise en Inde son premier court métrage Matti ke lal, l'histoire d'un maître de lutte. Le film obtient de nombreuses distinctions dont le Prix du Festival international de Melbourne et le Premier prix du meilleur court métrage européen (Stuttgart 1999). A partir de 2002, elle revient en Algérie pour réaliser une trilogie. La traversée est sorti en 2006 et a obtenu le prix du patrimoine au festival Cinéma du Réel (Paris).
Votre film à la télévision, est-ce un aboutissement ?
Pendant trois ans, j'ai accompagné le film à plusieurs festivals. La diffusion sur Arte est un aboutissement mais aussi la possibilité de passer à autre chose. Je laisse La Traversée prendre le large et je l'offre à ceux qui voudront bien le prendre et continuer à lui donner une vie.
Combien de traversées a-t-il fallu pour La Traversée ?
Il y en a eu 20 durant un été à bord de L'île de beauté, un ferry de la SNCM. Ce nombre était absolument nécessaire car le voyage est finalement court, 20 heures en moyenne. En tant que passager, cela peut paraître long, mais pour un film c'est très court. Il fallait donc mettre toutes les chances de notre côté.
Comment l'idée de ce film vous est-elle venue ?
A l'origine, j'étais venue à Alger pour d'autres films, mais c'est celui-là qui s'est imposé à moi. Donc dès 2002, j'ai pris l'avion car j'habitais Paris. Et, dans les deux sens, c'était trop brutal. Donc, j'ai commencé à y aller en bateau. Je suis même allée plus loin dans cette idée de rapprochement puisque j'ai fini par déménager à Marseille. Je me suis aperçue que je cherchais un moyen de passer plus facilement d'un monde à un autre. Je n'étais pas la seule à bord à chercher d'une manière complètement inconsciente, un rituel de passage entre une rive et l'autre, en prenant le temps. Le bateau m'est apparu comme un espace-temps que je pouvais investir le temps d'une traversée pour me retrouver. Je me suis aperçue alors qu'il se passait là quelque chose d'étonnant. En discutant avec les gens, en les observant, j'ai assisté à des moments intenses de paroles que je n'avais entendues ni en France ni en Algérie. J'ai voulu explorer cela. C'était l'espace idéal, une sorte de symbole très juste. Le bateau est un cadre très cinématographique, avec une certaine unité de temps et de lieu, pour exprimer le sentiment de ceux qui sont régulièrement bringuebalés entre les deux rives.
C'est un espace mais qui n'est pas fixe. En avançant, il n'est ni ici, ni là-bas. Ce non-lieu, si je puis dire, favorise l'épanchement des gens ?
C'était le lieu idéal pour des personnes en mouvement perpétuel. Un lieu idéal aussi pour parler du déplacement. J'ai eu ce sentiment qu'à chaque traversée, je revivais celles que j'avais faites auparavant. C'est à la fois l'espace-temps de la traversée mais aussi celui des traversées de nos aïeux et de nos parents.
Ce va-et-vient rappelle les migrations saisonnières des oiseaux...
Pour les oiseaux, on parle de migrants et pour les êtres humains, d'émigrés et d'immigrés. Indépendamment de la condition d'émigré-immigré, c'est cette condition de migrant qui se réalise sur le bateau. J'ai dédié d'ailleurs le film au grand sociologue algérien Abdelmalek Sayad, parce que justement je voulais rendre compte de son regard nouveau sur le phénomène migratoire. Il prend en compte aussi bien l'individu émigré que l'individu immigré. Je crois que la raison pour laquelle la parole se livre aussi bien sur le bateau, c'est qu'il est le lieu inespéré où les passagers peuvent être pris dans leur globalité.
Immigrés en France, émigrés ici. Entre les deux rives, ils ne sont ni l'un ni l'autre…
Plutôt les deux à la fois parce qu'ils se ressentent comme tels sur le bateau.
Vous avez eu un rapport très fort avec certains qui ont quasiment oublié la caméra et le micro. Comment l'approche s'est-elle faite ?
Approche est le mot juste. Quand j'ai pris le bateau, je me suis dit : c'est magnifique, il faut faire ce film-là. Mais en même temps, je me disais que c'était casse-gueule notamment à cause de la brièveté des traversées. En tant que passagère, j'avais remarqué qu'il y avait un moment idéal au départ. Le bateau est encore à quai. Il arrive qu'on attende 4 heures et plus pour embarquer. Pendant ce temps, je descendais sur le quai avec Selma Hellal, ma coéquipière dans cette aventure. On allait voir les gens en file d'attente, à bord de leur voiture, ou à pied. On avait rédigé un petit prospectus bilingue qui expliquait qui on était, ce qu'on voulait faire et pourquoi. Cela permettait de répondre à toutes les questions auxquelles nous aurions eu droit à bord et donc de gagner du temps. C'était comme si on tendait un carton d'invitation à ce moment pénible pour les passagers. Avant d'arriver à Marseille, ils ont fait des centaines ou des milliers de kilomètres, traversé parfois plusieurs pays d'Europe, et nous étions les premières à aller vers eux pour les inviter à participer au film. A partir de là, on créait une relation. On leur précisait aussi que s'ils ne voulaient pas être filmés, ils devaient nous le dire. C'était la mise en place d'un échange fondé sur le respect, avant même le début de la traversée.
Y a-t-il eu des accrocs, sinon des conflits ?
Certains nous ont dit qu'ils ne voulaient pas apparaître. Sinon, aucun conflit, ni accroc. On avait fait ce qu'il fallait en ne les prenant pas comme des objets du film, mais en sollicitant leur participation. Ce que je cherchais surtout, c'était d'en finir avec une certaine représentation de l'Autre. Les Algériens ont un rapport sensible à l'image et ils ont souvent été représentés à l'écran de manière très manichéenne et caricaturale. Naturellement, ils ne se retrouvent pas dans l'image que l'on donne d'eux. Il n'était donc pas évident qu'ils acceptent la caméra. Il fallait qu'ils sentent mon souci de donner une image d'eux qui les respecte. Bien sûr, c'est différent avec chacun, comme dans la vie en fait. Chez certains, le besoin d'expression était immense. Comme chez ce jeune homme avec une jeune femme qui porte un voile rouge sur les cheveux. Tous les deux étaient angoissés. Lui, vit à Lyon. Il revenait d'Algérie où il s'était marié et il ramenait sa femme pour la première fois. Elle n'avait jamais voyagé. Il voulait donc l'installer dans sa nouvelle vie mais il en était si angoissé qu'il avait une migraine prononcée…
Migraine, migrer, émigration…
(Rires) Voila ! Il a réellement profité de la caméra pour s'adresser à elle. En fait, je veux dire à sa femme. Il sentait justement que la caméra pouvait lui servir d'intermédiaire. Nous n'avons jamais cherché à cacher la caméra. Elle était bien visible et présente, comme un outil révélateur.
A la différence de votre film en Inde sur un seul personnage, vous n'aviez pas la possibilité d'un langage cinématographique concentré. La part du hasard n'a sans doute pas facilité la préfiguration de la structure du film ?
Ce que je voulais, c'était de retrouver ce que j'avais vécu en tant que passagère. J'essayai donc d'amener les gens à s'exprimer sur ce sentiment d'entre-deux. Petit à petit, en tournant, cela s'est affiné. Je savais mieux ce que je cherchais, les profils que je n'avais pas rencontrés… Et par hasard, bien que le hasard n'existe pas, nous avons rencontré Ben, devenu une sorte de personnage central, avec son marcel rouge, et ses « confessions » d'une nuit. C'était la toute dernière traversée. Le bateau quittait Marseille pour la dernière fois avant d'être mis à quai pour l'hiver. Si j'ai pu cueillir la parole de cet homme à ce moment, c'est parce qu'il y avait eu toutes les paroles précédentes. Pour la construction, je savais que cela serait difficile. Toutes les traversées, 1500 passagers descendaient pour laisser place à 1500 autres ! Il fallait que je dresse un portait par petites touches en ouvrant à tous ces gens un champ d'expression de cet état d'être en mer, plus en France et pas encore en Algérie, ou l'inverse. C'était ça l'idée. On a tourné aussi des arrivées ou des départs. Mais au montage, j'ai compris que le film devait rester dans son sujet, l'entre-deux. Il ne fallait pas montrer les deux villes.
Votre sentiment d'entre-deux, c'est quand même extraordinaire pour quelqu'un, né à Alger six ans après l'indépendance et qui a quitté l'Algérie à l'âge de 6 ans !
Quand je suis arrivée en France, il s'est passé une chose étrange. Mes parents me parlaient des « Français ». Ils disaient à propos de nos voisins ou connaissances : « Les Français font ceci ou cela, les Français sont comme ça... » Comme s'ils ne l'étaient pas, eux. En tant qu'enfant, je me disais : mais alors je suis d'où, je suis qui ? On était en France qui était notre pays, ou du moins l'idée de ce que devait être notre pays, mais pour autant, ils parlaient des Français à la troisième personne. Cela me troublait, j'ai dû me construire avec çà. A l'école, je voulais marquer mon territoire et je crânais sur un pays idéal d'où je venais. Dans cette quête identitaire, disons, j'ai appris ensuite que j'étais issue de populations émigrées du sud de la Méditerranée venues s'installer en Algérie. Je suis à la fois la résultante d'une émigration et d'une immigration. Je me suis donc sentie proche des passagers que j'ai filmés. Ma famille vient d'Espagne, de Sicile, de l'île de Pantelleria exactement, de France et d'Allemagne…
Votre entre-deux est donc un entre-quatre !
Exactement, et par un raccourci de l'histoire, on les appelait les « Français d'Algérie » ! L'entre-deux, c'est le territoire que je connais le mieux et avec lequel je me débrouille le mieux.
Et le prochain film, est-il en tête ?
La Traversée m'autorise maintenant à poser le pied et je suis plus que jamais prête à filmer Alger, en principe pour la fin de cette année. Cela commencera avec ce plan pris durant le tournage de La Traversée qui montre l'arrivée du bateau dans la baie d'Alger. Si je l'avais gardé au montage, je serai sortie de l'entre-deux. Avec Alger ou Marseille à l'écran, c'aurait été un autre film, je pense.


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