Il fait un temps vraiment gris et triste en cette fin d'après-midi de janvier 1953 dans la Côte-d'Or. En haut de la colline, un village parfaitement inconnu sauf des gens de la région de Châtillon-sur-Seine, en plein pays bourguignon. Nous sommes près du mont Lassois et pas très loin de l'emplacement probable d'Alésia. La région est fertile en sites archéologiques, car ce lieu de passage a été fréquenté depuis la plus haute Antiquité. Pour l'instant, d'éventuels promeneurs pourraient voir un homme, apparemment un paysan, affairé à creuser le sol à coups de pioche. Il applique à son travail une technique spéciale : c'est celle d'un homme qui a l'habitude de creuser la terre pour y découvrir d'éventuels souvenirs archéologiques. Il sait qu'il faut se garder de détruire ou d'abîmer un objet enfoui, d'un coup de pioche malheureux. Mais l'homme qui creuse, Maurice Moisson, n'est pas un archéologue : il n'est que la main experte au service d'un archéologue diplômé, René Joffroy. Et comme, en cette froide fin de fouilles, il reste encore un peu d'argent dans la caisse de Joffroy 15 000 francs inutilisés sur l'allocation ouverte par le ministère et bien que la campagne de fouilles soit terminée depuis le 29 décembre, Maurice Moisson continue de creuser, jusqu'à épuisement du budget. De toute manière, cet argent doit être consacré à des fouilles «gauloises». Les Gallo-Romains sont «hors budget». On ne creuse pas n'importe où au hasard. Si René Joffroy a choisi cet emplacement en particulier, c'est à cause des indices déjà découverts. Les paysans, dans leurs travaux de labour, ont amené à la surface du champ des fragments de pierres qui sont jugés intéressants. S'il y a des fragments, c'est qu'il y a, plus profondément enfouis, des restes de bâtiments, peut-être détruits lors des invasions barbares. Qui sait si, plus bas, on ne pourrait pas découvrir des mosaïques, des monnaies, des statues ou des bijoux abandonnés précipitamment, ensevelis par l'écroulement d'une construction, consécutif à un incendie... Un trésor peut-être. D'ailleurs, pour l'archéologue professionnel, tout est trésor. Chaque objet vient apporter une information, aussi modeste soit-elle, sur la vie de nos ancêtres... En fait, ce qui intrigue Maurice Moisson d'abord, René Joffroy ensuite, c'est la présence, dans ce labour, de pierres qui n'ont aucune raison naturelle de s'y trouver. Elles ont certainement été apportées là pour servir à la construction d'un bâtiment aujourd'hui disparu... Joffroy réfléchit, et Maurice Moisson creuse seul, sous la bruine. Il est accompagné de René Paris, collaborateur de René Joffroy. Dans la tranchée d'exploration, les hommes mettent au jour ce qui est de toute évidence une installation de la main de l'homme : une sorte de hérisson constitué de pierres dressées sur chant et inclinées. Ne serait-ce pas le haut d'un de ces tumulus funéraires, si nombreux dans la région ? On creuse, on creuse dans la gadoue, car on est au niveau de la Seine toute proche. Pas de doute, il s'agit d'une tombe, mais il y a fort à parier qu'elle est vide. En descendant assez profond, on pourrait cependant peut-être découvrir le rasoir de bronze que les Celtes enfouissaient souvent bien en dessous du corps du défunt. Histoire de se consoler de ces longues heures les pieds dans l'eau sous la neige glacée.