La commune de Didouche Mourad, à une quinzaine de kilomètres du chef-lieu Constantine, est enveloppée d'une légère brume, une enveloppe opaque qui ne doit rien aux caprices climatiques mais plutôt à la cimenterie tristement célèbre qui a achevé les vergers d'El Hamma et s'attaque depuis quelques années aux poumons des riverains. Situé sur une colline, le quartier Oued El Hdjar est en passe de devenir plus grand que le vieux village. Des dizaines d'immeubles de cinq étages se confondent avec l'horizon et ressemblent toutes à des cages à poules, une « spécialité » locale.« Nous avons emménagé ici il y a six ans. Au début, c'était le calme et la quiétude qui caractérisaient Oued El Hdjar à tel point que les citadins de Didouche Mourad nous jalousaient, eux qui s'étranglaient dans le village devenu trop étroit et trop pollué par la cimenterie. Mais au fil du temps, la vie est devenue impossible », dira Mohamed, un retraité de l'éducation nationale.Très vite, et selon notre interlocuteur, les immeubles se sont fissurés, chose vérifiable facilement à l'œil nu. Les jours de pluie sont vécus comme un calvaire par les habitants qui voient leurs murs et plafonds infiltrer par la pluie, laquelle se déverse dans les vides sanitaires, les transformant en cloaques, paradis des rats et des moustiques. A l'entrée des immeubles, il est vrai que vous êtes très vite saisi par un haut-le-cœur à cause des odeurs nauséabondes qui se dégagent des vides sanitaires. Les cages d'escalier qui étaient immaculées ne sont plus que des surfaces taguées à longueur de journée par des gosses en quête du moindre divertissement. Il est vrai quand même que tous ces aléas sont atténués par l'abondance des commerces de tout genre, ce qui évite aux habitants de se déplacer au village.« Le transport constitue aussi un problème puisque les bus arrivant de Constantine où la plupart des habitants de Oued El Hdjar travaillent ou étudient, s'arrêtent au village. Pour regagner nos logis, on est obligé de débourser encore pour prendre des minibus poussifs qui n'ont pas d'horaires stables. Et si vous avez un malade après 17 h, c'est la débrouille quand ce n'est pas le voisin véhiculé qui vous dépanne », rajoutera notre interlocuteur. Les bordiers de Oued El Hdjar sont aussi confrontés à un phénomène presque inconnu à Didouche Mourad : l'insécurité. C'est vrai que cela n'a pas atteint le degré de décrépitude du chef-lieu ou d'El Khroub, mais on enregistre quand même quelques larcins, comme le cambriolage d'appartements ou plus récemment encore, de véhicules. Aux quartiers des logements évolutifs ou de l'autoconstruction, ce n'est pas la joie, non plus. Les crevasses des routes qui n'ont jamais connu de revêtement dissuadent les plus hardis des automobilistes, et la boue devient l'ami le plus fidèle des habitants des lieux, les jours de mauvais temps. Et paradoxalement, au site qui abrite les immeubles où la promiscuité héritée du village ancestral a été reconduite, il n'en est pas de même du côté de l'autoconstruction où les gens ne se connaissent pas. Ce qui crée un climat de suspicion qui ne sera altéré qu'au bout de l'ennui qui poussera, peut-être, les voisins à une symbiose salvatrice. Et plus bas, au pied de la colline, c'est le train de banlieue qui avertit ses usagers d'un départ imminent vers Constantine, en attendant le retour au quartier en fin d'après-midi.