Avec sa petite moustache, sa quarantaine replète et son éternel béret basque sur la tête, Gérard Duchez est le Français moyen caricatural. Il a, de plus, presque en permanence l'air jovial, un peu bébête parfois, bref il inspire spontanément la sympathie et il ne viendrait à personne l'idée de se méfier de lui. Cette apparence insignifiante, Gérard Duchez la cultive soigneusement. Elle est indispensable pour mener le combat qui est le sien. Oui, le combat, car nous sommes en 1942, à Caen, dans la France occupée et Gérard Duchez appartient au réseau de résistance Malherbe, dont la spécialité est le renseignement. Au sein du groupe, Duchez a un rôle bien défini. Il possède une petite entreprise de peinture et il lui est déjà arrivé de faire des travaux pour les Allemands. Jusqu'à présent, cela ne lui a pas permis de tomber sur quelque chose d'intéressant, mais il persévère et, en attendant, il feint d'avoir pour l'occupant les sentiments les plus cordiaux. Ce jeudi 7 mai 1942, comme il en a l'habitude, Gérard Duchez va voir au tableau d'affichage de la mairie de Caen s'il n'y aurait pas des offres de chantiers. Or, justement, on invite les peintres en bâtiment à soumissionner pour un marché de réparations mineures au quartier général de l'organisation Todt. Malheureusement, l'avis est périmé et il aurait dû être retiré, car les candidatures devaient être déposées avant 17 heures le mercredi 6. Gérard Duchez pousse un juron de contrariété : approcher l'organisation Todt est, en effet, la priorité de son réseau. Cette bien mystérieuse organisation, qui porte le nom du ministre de l'Armement du Reich, décédé récemment dans un accident d'avion, est spécialisée dans les constructions militaires. Elle vient d'installer des bureaux dans les principales villes côtières de France. Pour l'instant, on ne sait rien de précis, mais il semblerait que les Allemands aient décidé l'édification de fortifications sur une grande échelle le long du littoral. Gérard Duchez décide de tenter quand même le coup. Il a toujours été débrouillard et il fait confiance à la chance. Il se dirige sans plus tarder vers les locaux de l'organisation Todt, qui occupe un luxueux hôtel particulier du centre-ville, réquisitionné par l'occupant. A cinquante mètres de l'entrée principale, la voie est bloquée par une barrière de fils barbelés. Une sentinelle monte la garde. Celle-ci braque son canon vers lui : — Halte ! Ausweis ! Gérard Duchez ôte son béret basque et fait son plus beau sourire. — Moi pas ausweis. Moi venir pour peinture. Comme le factionnaire ne comprend pas un mot de français et s'énerve de plus en plus, Gérard Duchez, pour s'expliquer, fait semblant de manier le pinceau le long de sa guérite. Cette fois, la réaction est immédiate : un violent coup de crosse le jette à terre. L'Allemand s'acharne sur lui à coups de botte, puis le fait relever et le conduit dans l'immeuble en lui enfonçant le fusil dans les reins. Là, d'autres Allemands surgissent et se mettent à l'injurier. Enfin, arrive un officier qui s'adresse à lui d'une voix glaciale. — Est-ce que vous connaissez les punitions prévues pour les Français qui se moquent du Führer ? Du coup, Gérard Duchez comprend la réaction de la sentinelle. (à suivre...)