Nombreuses sont les femmes, les jeunes filles surtout, qui refusent de poursuivre une grossesse non désirée et qui décident de recourir à un avortement. Bravant l?interdiction de cette opération, des médecins, qui ne s?encombrent pas de scrupules ou qui veulent tout simplement aider les filles en détresse, la pratiquent clandestinement. Si le commun des mortels ignore jusqu?à leur existence, les noms de ces praticiens circulent de bouche à oreille parmi les candidates à l?IVG (interruption volontaire de grossesse). Celles-ci finissant, au gré de leur infortune, par connaître les rouages de ce qu?on peut appeler un réseau. Le phénomène existe bel et bien, même si on refuse d?en parler. Il est vrai que la question est taboue, mais le mutisme observé dans le milieu des spécialistes de maladies des femmes est beaucoup plus lié à la crainte de sanctions qui risqueraient de s?abattre sur eux. Tous les «avorteurs» clandestins sont conscients que c?est là un secret de Polichinelle, mais l?essentiel pour chacun d?eux est de ne pas être «débusqué». Chez les gynécologues, c?est le black-out. On ne veut ni avouer qu?on pratique l?avortement ni reconnaître explicitement que certains confrères le font. «Je ne peux rien vous dire à ce sujet», nous rétorque un spécialiste dont le cabinet se trouve au centre-ville et dont la notoriété est établie depuis longtemps. «Si vous étiez venue dix ans plus tôt, du temps où j?étais universitaire, je vous en aurais parlé. Mais maintenant, j?ai ôté tout cela de mon esprit», nous dit-il. Notre interlocuteur lâche tout de même que l?avortement se faisait (se fait-il toujours ?) dans un hôpital d?Alger dans des conditions qui conduisaient à la mort quasi certaine des concernées. «On tentait de les réanimer, en vain», souligne-t-il. Son assistante nous parle d?une clinique à Alger où ont lieu aussi bien les naissances d?enfants illégitimes que les avortements. Sur un grand boulevard, deux plaques de spécialistes. Lequel des deux voudra nous en parler ? «Je les renvoie», nous lance le premier, qui affirme se référer à la législation, tout en nous déclarant qu?il est souvent sollicité. Craignant peut-être que son nom nous ait été soufflé, il poursuit avec cette sentence tout en essayant de cacher sa méfiance : «Les gens sont méchants, ils racontent n?importe quoi. Ils orientent des filles en détresse vers un médecin en leur assurant qu?il pourra les aider.» «Cela ne se fait pas chez nous», affirme avec empressement l?assistante du second spécialiste, qui nous a demandé de téléphoner pour prendre rendez-vous, avant de nous lancer avec un sourire : «Ceux qui pratiquent l?avortement ne vous le diront pas.» Quant aux conséquences, elles sont très souvent désastreuses vu l?absence de moyens adéquats dans les cabinets où se pratique l?IVG. C?est la détérioration physique et morale lorsque ce n?est pas la mort. Selon les chiffres de l?OMS, 70 000 femmes meurent chaque année dans le monde à cause de complications d?un avortement mal fait.