A un peu plus de trente ans, Etienne Pellot a, en cette année 1797, plus d'un exploit militaire à son actif. En mer le plus souvent, car ce Basque, natif d'Hendaye appartient à une vieille famille de marins. L'un de ses ancêtres n'a-t-il pas été distingué par Louis XIII pour avoir remporté un combat naval ? Etienne lui-même a connu le baptême du feu à treize ans, aux Amériques, sur la «Marquise de Lafayette», une frégate ainsi nommée parce qu'elle avait été affrétée avec l'argent des dames de la cour, pour aider les insurgés américains. Après la Révolution, il a servi la République avec autant de bravoure que le roi. Pour la première fois, il a reçu une mission sur terre et cela a failli mal se terminer. Chargé d'espionner les Vendéens, il a été pris et à deux doigts d'être fusillé. Il a eu la vie sauve, mais l'événement lui a valu d'avoir, du jour au lendemain, les cheveux tout blancs. Pourtant, ce 8 août 1797, c'est bien en mer que se trouve Etienne Pellot. Il est capitaine du «Flibustier», un navire corsaire de huit canons, avec quarante hommes d'équipage. Le «Flibustier» n'est pas bien gros, mais il est maniable et rapide, et Pellot adore cela. Il n'a pas son pareil pour attaquer à l'improviste là où son adversaire l'attend le moins ou pour filer comme une anguille lorsque le navire en face est trop puissant pour lui. Oui, Etienne Pellot n'est nulle part plus à son aise qu'en mer. La preuve : il n'est pas grand, mais à terre on remarque sa petite taille, tandis que sur un bateau on ne voit que sa forte carrure. Il est adoré par ses hommes, qu'il a l'habitude d'appeler tous «mon vieux», ce qui lui a valu le surnom affectueux de «Monvieux». «Hé, les gars, voilà Monvieux qui monte à bord !», «Remue-toi un peu, sinon gare à Monvieux !» Mais Etienne Pellot a une qualité plus étonnante chez un corsaire : il est drôle ! Si, lors des abordages, il part à l'assaut comme un fou furieux, en dehors des combats, c'est un bout--en-train comme il en existe peu. Il a toujours une histoire cocasse à raconter ou bien alors il se livre à un numéro de mime ou à quelque autre pitrerie et, dans tous les cas, il est absolument irrésistible. — Navire à bâbord ! C'est le hunier qui vient de lancer ce cri. Etienne Pellot, qui était dans sa minuscule cabine, se précipite sur sa longue vue. Bonne ou mauvaise rencontre ? On va tout de suite être fixé. Et Etienne est effectivement fixé : il s'agit de la plus formidable frégate anglaise qu'il ait jamais rencontrée, un monstre hérissé de canons. Il donne des ordres, espérant malgré tout lui échapper grâce à son habileté légendaire, mais celle-ci est beaucoup trop rapide. Elle fonce sur lui et envoie une terrible bordée dans sa direction. Etienne Pellot fait jeter l'ancre. Il n'a pas le choix, s'il ne veut pas que tout le monde périsse. Peu après, il voit arriver, la mort dans l'âme, la frégate anglaise. C'est la captivité pour ses hommes et lui. Et pourtant, malgré tous ses combats passés, c'est lors de cette cap-tivité qu'il va signer son plus bel exploit. Pellot et ses hommes ont de la chance. Au lieu d'être conduits vers un ponton, ces sinistres embarcations à quai où les Anglais enferment les corsaires dans des conditions inhumaines, tous sont dirigés vers le château fort de Folkestone. Il s'agit d'un authentique château du Moyen Age, avec douves, pont-levis et donjon. L'endroit n'a rien d'agréable mais au moins il y a de la place. Le plus éprouvant, ce sont paradoxalement les promenades. Elles ont lieu dans une cour entourée de murs si élevés qu'elle ressemble à un puits. On ne peut apercevoir qu'un bout de ciel, qui, en raison du climat anglais, est bien plus souvent gris que bleu. (à suivre...)