InfoSoir : La peine de mort est toujours en vigueur dans le pays en dépit de son gel depuis 1993, qu'en pensez-vous ? Mostefa Bouchachi : La Ligue a toujours milité pour l'abolition de la peine de mort que nous considérons comme contraire à un droit fondamental qui est le droit à la vie. L'Algérie a gelé les condamnations à mort depuis septembre 1993, après l'affaire de l'aéroport et l'Amirauté, même si les tribunaux algériens condamnent toujours à mort. Chaque année on prononce des dizaines de condamnations à mort dans les cours. L'Algérie est le premier et le seul pays dans le monde arabe, qui a voté récemment à l'ONU pour le moratoire sur la peine de mort. Je crois que l'étape suivante et qui est naturelle, c'est de réfléchir sérieusement à son abolition et à l'abrogation de cette loi. Justement, un parti politique a proposé une loi allant dans ce sens … l Au cours de ces dix dernières années, les députés n'ont proposé aucune loi concernant la question. J'espère que les parlementaires vont approuver le texte présenté par le RCD, que nous voyons comme une proposition judicieuse, dans l'intérêt des droits de l'homme et de l'image de l'Algérie. Elle permettra aussi de mettre fin à la situation instable et de réticence concernant l'abolition de cette peine. Mais, nous ne devrions pas condamner des centaines de personnes qui demeurent enchaînées pour plusieurs années en tant que condamnées à mort. Je considère cela comme étant une torture morale et corporelle. Notre responsabilité et celle de l'APN est d'examiner et d'approuver le texte dans les plus brefs délais. Mais les détracteurs de l'abolition vont brandir à nouveau l'argument religieux ? l La source de loi en Algérie, ce n'est pas la Charia islamique. La plupart des lois régissant le pays, qu'elles soient économiques ou sociales et le droit pénal, n'ont pas été inspirées de l'Islam. Donc, si on justifie que cela s'oppose à la Charia, les peines concernant le vol, la prostitution et la constitution de groupes de malfaiteurs le seraient aussi ! Ainsi, on peut se permettre le fait que la source de quelques les lois soit le droit positif et quand il s'agit de la peine de mort, on dit que cela s'oppose à la Charia. Aussi, quand on parle de la Charia, les châtiments dans la religion s'appliquent quand il y a une justice équitable et qu'il n'y a pas de doute. Et du fait que la justice n'est pas totalement indépendante dans le système algérien non démocratique, cela suppose l'existence d'un doute légitime dans l'exécution de cette peine. Le pays doit-il enfin l'abolir ? l Je crois qu'en Algérie, il y a des conditions politiques et juridiques nécessitant l'abolition de cette peine. Parce que 90 % des délits passibles de la peine de mort sont des crimes ayant un caractère politique. Donc, il se peut que cette pénitence soit utilisée davantage pour dissuader les opposants politiques que pour réprimer les criminels. Tout le monde se rappelle du colonel Chabani qui a été condamné à mort puis exécuté. S'il n y avait pas la peine de mort en Algérie, exploitée d'une manière politique dans cette affaire, Chabani n'aurait pas été exécuté et l'on aurait pu corriger l'erreur. Pourquoi la condamnation à mort est-elle dangereuse ? Parce qu'une justice non indépendante et ne disposant pas de moyens scientifiques pour la recherche de la vérité, peut se tromper. Et quand elle se trompe et exécute la peine de mort, il n'y a aucun moyen de réparer ce qui s'est passé. Il y a des pays abolitionnistes qui refusent de livrer des individus à l'Algérie en raison du maintien de cette peine. Ce qui veut dire que c'est dans l'intérêt de l'Algérie d'abolir la peine de mort. *Avocat et président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH).