Résumé de la 3e partie n Après quelques mois,Tagwayi s'oublie et se remet à compter les cuillerées que lui sert son épouse, alors elle le quitte. Le voici donc à la recherche d'une nouvelle femme... «Chiline, chiline !» chante le calao. — Euh, répond la demoiselle. Je n'ai jamais dit ça. — Autrement dit, tu veux bien ! s'écrie Tagwayi, fou de joie. Oh, la vie est de nouveau belle ! — Un instant, Tagwayi. Ecoute-moi bien, si tu ne tiens pas à enfourcher une fois de plus ce grand cheval de Si-j'avais-su ! Si je t'épouse, je te préviens il est une chose que je ne supporterai pas. — Ah bon, et... euh... et laquelle ? — Ton seul défaut, je le connais : il est de compter les cuillerées. Alors, j'aime autant te prévenir. Tu peux compter tout ce que tu voudras, les moutons, les grains de mil, les coquillages, mais ne compte jamais, quoi qu'il arrive, les cuillerées que je te servirai ! — Bien, dit Tagwayi. Je promets. Puisque c'est ta seule exigence, je promets de me tenir à l'écart des marmites quand tu serviras le souper. C'est plus sûr. Alors ils se marient, et Tagwayi emmène sa jeune femme vivre avec lui sur son petit domaine. Les mois passent. Tous les matins, Tagwayi part au travail en chantant, et le soir, quand il rentre, le calao lui lance gaiement : «Chiline chiline !» Et plus personne ne songe à chanter la rengaine usée «Si tu comptes les cuillerées.» Il semble bien qu'enfin Tagwayi soit marié une fois pour toutes. Tout au long de ces longs mois, Tagwayi reste prudent. Il n'entre chez lui pour souper que lorsque sa femme a fini de le servir. Mais un jour, une idée lui vient s'il s'entraînait à compter tout bas ? Ce serait encore dix fois mieux. Tagwayi s'exerce au jardin. Les arbres, les cailloux, les insectes, tout y passe. Il sait si bien compter tout bas que bientôt il n'a même plus besoin de remuer les lèvres. Encore un battement de paupières, ou des orteils à l'occasion, mais c'est à peine visible. Enfin il peut rentrer quand il veut, et regarder sa femme lui servir ses repas. Il compte tout bas, rien à redire. «Chiline chiline !» chante le calao. Sa femme, qui croit qu'enfin il a perdu pour de bon sa triste habitude, lui sert même quelques cuillerées de plus, en récompense. Un soir qu'il est assis sur son lit, à compter en silence les cuillerées de tou-wôh qu'elle lui sert («six, sept, huit...»), un voisin appelle à l'entrée : — Eh, Tagwayi ! — Neuf ! répond Tagwayi. Il se mord les lèvres, mais sa femme n'a pas réagi. Elle n'a même pas poussé de soupir. Elle continue de le servir. Tagwayi répond au visiteur, sans détacher les yeux du chaudron. Le calao vient se poser non loin et le prévient : «Wo, woh ! Wo, woh !» Mais Tagwayi n'y prend pas garde. Sa femme en est à onze cuillerées, et s'apprête à servir la douzième quand Tagwayi revient vers elle. — Ma foi, lui dit-il, si je n'avais pas abandonné l'habitude de compter les cuillerées, je dirais que tu en es à douze. — Abandonné l'habitude ! s'écria sa femme, furieuse. Tu crois peut-être que je ne t'ai pas entendu, quand tu as dit «Neuf» à l'instant ? J'ai cru un moment que c'était une erreur, mais je vois bien que tu l'as gardée, au contraire, ta vieille habitude ! — Enfin, m'as-tu entendu compter ? Je n'ai pas compté, il me semble ! Mais dis-moi, euh... c'est bien douze cuillerées que tu m'as servies, n'est-ce pas ? — Oui, et c'étaient les douze dernières! Tiens, la voilà, ta cuiller ! (Elle la lui lance sur le pied.) Tu pourras compter tout ton soûl, je te quitte ! Et dès le lendemain matin elle s'en va pour ne plus revenir. — Mais que vais-je devenir, sans toi ? se désole Tagwayi. — Tu n'as qu'à compter les brins d'herbe ! dit-elle en tournant les talons. Au moins, ça t'occupera ! «Wo, woh !» pleure le calao. Tagwayi n'a plus de femme. Plus moyen d'en trouver une. Il est resté assis par terre, où sa dernière femme l'a laissé. Et comme ce sont les brins d'herbe qu'il compte, gageons qu'il y est encore.