Interrogation n Au lendemain de l'indépendance, un journaliste européen s'était demandé dans les colonnes de son journal, après une brève visite dans notre pays, si ce pétrole qui coulait en abondance était une bénédiction pour le peuple ? Première lecture, la «vanne» semblait vraiment déplacée à l'adresse d'une communauté qui sortait amoindrie et fragilisée par sept années de guerre de libération nationale. L'autorité occupante avait tout détruit avant de partir, les infrastructures, les réseaux, les administrations, bref rien ne tenait debout ou à peine. Même les écoles furent brûlées et dans certains cas, rasées. Il n'y avait pas un sou vaillant dans les caisses, tout ce qui pouvait sonner et trébucher avait pris la clef des champs. La France n'avait rien laissé derrière elle. Alors dire si cette manne pétrolière était une bénédiction revenait à demander à un déshydraté s'il avait besoin d'eau, s'il avait besoin de boire. A priori, la question ne se pose même pas et cela pour une raison très simple : grâce aux pétrodollars engrangés par notre pétrole, l'Algérie a posé les jalons de son développement tous azimuts en construisant des autoroutes (Est-Ouest, bientôt celle des Hauts-Plateaux), des hôpitaux, des cliniques, des universités, des écoles, des logements sociaux et bien sûr en payant toutes les factures de notre consommation en blé, en café, en sucre, en médicaments et autres délices de l'équateur. Cela personne ne peut le nier, pas même les ennemis jurés d'un système qui se pérennise. Le niveau de vie a augmenté même si le pouvoir d'achat n'a pas grimpé aussi vite que l'ascenseur. De nombreux salaires ont été revus à la hausse et certains sont même passés du simple au double. L'indice a augmenté pour les fonctionnaires et les retraités et le niveau de vie a globalement changé, il faut bien le reconnaître. Mais aux dépens de quoi ? Aux dépens de qui ? Aux dépens du secteur primaire naturellement, le secteur le plus nourricier. Des milliers d'Algériens, agriculteurs de profession, propriétaires de terres ou héritiers, fils de fellahs ou d'éleveurs, ont troqué dès l'istiqlal leur charrue contre une combinaison, leur faucille contre une boîte à outils, leurs terres contre la soudure de pipes, leur quiétude et la paix de leur environnement contre les bruits assourdissants des foreuses à quarante degrés à l'ombre. Tous sont partis grossir les bataillons d'une industrie naissante en laissant une terre à l'abandon, presque nue et rendue encore plus misérable par la disparition des derniers «manœuvres» qualifiés qui ont réussi à maintenir en l'état une qualité et une diversité de production jusqu'aux années 1970 que nous enviaient les pieds- noirs eux-mêmes. Normal de vouloir se faire embaucher ici quand les meilleurs salaires du pays sont servis par la compagnie nationale du pétrole. La seule évidemment. Travailler dans le secteur des hydrocarbures était, il n'y a pas si longtemps, synonyme de réussite et une référence sociale très appréciée. La terre a donc bien fini par être sinistrée. Nos campagnes sont actuellement désertes. Certains hameaux sont littéralement abandonnés par leurs habitants, pour des raisons de sécurité aussi car le terrorisme est passé par là. Depuis une trentaine d'années, en fait, nos terres se sont cruellement dépeuplées et vidées de leur substance. Pas même la révolution agraire et les fameux villages socialistes n'ont réussi à sédentariser nos paysans, ni l'eau courante à domicile, ni même le gaz, l'électricité ou la route bitumée à l'asphalte brillante. Ils préfèrent construire des gourbis autour des grandes villes, s'entasser les uns sur les autres, survivre de petits boulots mal rémunérés que de rester une minute de plus dans la vieille chaumière familiale. Et bien sûr quand les grandes entreprises embauchent du petit personnel, ils sont les premiers à faire la queue, particulièrement quand c'est Sonatrach…