Opinion n Selma Hellal des éditions Barzakh estime que le champ éditorial algérien n'est pas encore mûr pour s'inscrire dans une spécialisation ou s'enrichir de collections. InfoSoir : Il n'y a pas en Algérie de maisons d'édition spécialisées comme en Europe... Selma Hellal : Je pense que c'est une question de temps. L'édition en Occident a une histoire, en Algérie elle en est à ses balbutiements. Il faut des années et des années pour que le champ éditorial se structure, que les éditeurs se «distribuent» les spécialités et les tâches, qu'il n'y ait plus d'éditeurs avec une expérience accumulée. Les mots-clés, me semble-t-il, sont : la sédimentation, l'accumulation. Nous n'en sommes cependant pas encore là. Mais tout de même, on peut dire que ce mouvement de spécialisation s'amorce : il y a des éditeurs qui font plutôt des livres consacrés à l'histoire, aux essais ; certains au livre scolaire, d'autres au livre religieux, quelques-uns au livre pour enfant, d'autres à la littérature, et n'oublions pas l'OPU, spécialisé dans les publications universitaires. Toutes les maisons d'édition peuvent-elles s'en tenir à un champ éditorial ? Ce qu'il faut savoir aussi, c'est que rares sont les maisons d'édition qui peuvent se «payer le luxe» d'une spécialité : être généraliste permet un équilibre des comptes. Si nous arrivons à publier, pour notre part, Ali Malek, Malek Alloula, Habib Ayyoub, et d'autres (des romans qui n'ont pas un large public, mais dont nous sommes convaincus qu'ils font la littérature algérienne contemporaine), c'est parce que, par ailleurs, nous publions des essais, des beaux livres, qui eux, ont une «rentabilité» plus évidente et immédiate. C'est un système de «vases communicants» vieux comme le monde. Rares sont les maisons d'édition qui créent des collections. A quoi cela est-il dû ? Encore une fois, c'est lié, je crois, à l'histoire, à la maturité du champ éditorial algérien. Toutes les maisons d'édition algériennes sont encore relativement jeunes, au regard de l'histoire de celles d'Europe par exemple. En outre, pour créer une collection, sans doute faut-il une certaine puissance, une assise financière, mais aussi l'élaboration d'une stratégie à moyen et long termes, basée sur des projections, une continuité, une cohérence. Cela demande une certaine aisance et un certain confort. Une forme de tranquillité que n'ont pas encore toujours les éditeurs, qui se sentent, la plupart du temps, dans une incontestable précarité. L'Enag avait eu une excellente initiative quand elle a créé la collection El-Aniss, reprenant de grands classiques littéraires, en français comme en arabe. En tant que maison d'édition, vous avez tenté une collection «El âgrab». Elle n'existe plus. Quelles en sont les raisons ? Nous sommes allés peut-être trop vite… L'idée était de créer une collection de polars, sur le modèle de la collection du Poulpe en France : une série qui met en scène le même détective que se «passent», de livre en livre, si je puis dire, différents écrivains, chacun rédigeant un épisode de cette collection. Nous, nous avions créé ce personnage, «El âgrab». Il y a deux textes, un de Adlène Meddi, l'autre de Nabil Benali. Vous vous êtes alors surestimé ? Peut-être était-ce mettre «la charrue avant les bœufs» comme on dit ; peut-être était-ce un parti pris trop contraignant — obliger les auteurs à manipuler un seul et identique héros, créer une chaîne de polars —, quand ce genre littéraire était si peu ancré encore dans notre société. Nous avons bel et bien surestimé l'intérêt que le public témoignerait à ce genre littéraire quasi inexistant ici. En fait, c'était trop tôt. Aujourd'hui, plus modestement, nous proposons des textes comme La prière du maure (A.Meddi) et La mort de l'entomologiste (Mohamed Balhi), des romans policiers ou romans noirs disons, où l'auteur est libre de mettre en scène les personnages qu'il veut, qu'il sent, en se nourrissant des codes élémentaires du genre. Nous avions brûlé les étapes. Mais c'est une idée à laquelle nous n'avons pas renoncé…