Nous avons déjà évoqué les travaux de Delage sur le rêve lucide. Ses conclusions sont identiques à celles de van Eeden. Il procède même à des expérimentations au cours du rêve. Dans un récit, il se retrouve à la campagne, au bord d'un fleuve. «J'avance au bord de l'eau et me demande ce que je vais faire. A ce moment-là, le rêve devient conscient, je me dis que je rêve et que je vais en profiter pour me livrer à une intéressante expérience : je vais sauter dans l'eau pour voir quelle sera la suite de cette aventure. Cependant, j'hésite ; l'eau est profonde et d'un vert pâle opaque qui n'a rien d'engageant : si je me trompais, si la situation était réelle, si j'allais me noyer. Cependant, sentant que je savais nager et que je pourrais toujours regagner la rive, je me décide en prenant la résolution d'observer soigneusement mes impressions pour les écrire au réveil. Je m'attends à une sensation de froid qui sera sans doute très pénible. Je saute dans l'eau et j'observe. Rien qui ressemble à l'impression de bain glacé que j'attendais : c'est une sensation à peine perceptible de légère fraîcheur. Je flotte accroupi sans faire aucun mouvement, la tête restant émergée, mais un vif courant m'entraîne, d'abord vers la gauche le long de la rive, puis vers le large à ma droite. J'entends un clapotement très accentué et que j'écoute avec intérêt… A cet instant, je me réveille… Je constate que je suis tranquillement couché dans mon lit et qu'aucun bruit proche ou éloigné ne frappe mon oreille ; je n'entends que le sourd bourdonnement d'oreille monotone et persistant dont je souffre et qui n'a rien de commun avec le bruit sec et intermittent du clapotis.»