Résumé de la 70e partie n Tuppence réussit à faire parler Mr Cayley qui avoue ses opinions pro-nazi... Levant les yeux, Tuppence nota une étrange expression sur les traits de Mrs Cayley, une expression difficile à préciser. Cela pouvait trahir la jalousie, bien excusable, d'une épouse qui constate qu'une autre femme monopolise l'attention de son mari. Cela pouvait, aussi, révéler de l'inquiétude devant les sentiments trop ouvertement affichés par Mr Cayley. En tout état de cause, c'était un signe de mécontentement. L'heure du thé passa, suivie de près par le retour de Londres de Mrs Sprot, qui ne manqua pas de s'exclamer : — J'espère que Betty a été sage et qu'elle ne vous a pas causé d'ennuis ! Tu as été sage, Betty ? Betty, laconique, répliqua seulement : — Con tu ! Chacun comprit qu'elle n'avait pas eu la moindre intention d'insulter sa mère, mais réclamait seulement de la confiture de groseilles. Mrs O'Rourke en fut secouée de rire, tandis que la jeune maman se scandalisait : — Je t'en prie, Betty chérie !... Sur quoi Mrs Sprot s'installa, avala force tasses de thé et entama avec fougue le récit par le menu de ses courses dans la capitale, de la cohue dans le train bondé, de ce qu'un soldat tout récemment revenu du front français avait raconté aux occupants de son wagon... et du sombre pronostic de la vendeuse d'un rayon de lingerie qui lui avait annoncé la prochaine pénurie de bas de soie. Propos, somme toute, qui brillait surtout par leur extrême banalité. On s'en alla poursuivre la conversation sur la terrasse car, sous un soleil maintenant éclatant, la pluie du matin était bien oubliée. Betty cavalait joyeusement, rapportant de mystérieuses expéditions dans les buissons tantôt une feuille de laurier, tantôt des poignées de cailloux qu'elle déposait sur les genoux de l'une des grandes personnes présentes avec de longues - et incompréhensibles -explications. Par chance, elle n'éprouvait guère le besoin que l'on participe à son jeu et se contentait de quelques «Comme c'est joli, ma chérie. C'est ravissant». On n'aurait pu imaginer fin d'après-midi plus paisible, plus caractéristique de l'atmosphère feutrée de Sans Souci. On bavardait, on évoquait les ragots de l'arrière, on s'interrogeait sur le déroulement de la bataille : la France est-elle capable de se ressaisir ? Est-ce que Weygand va pouvoir redresser la situation ? Que va faire la Russie ? Hitler peut-il tenter et réussir un débarque-ment en Angleterre ? Et Paris tombera-t-il aux mains des Allemands si les Français n'arrivent pas à colmater la poche ? Et, dites-moi, est-il vrai que... Moi, on m'a dit au contraire... Il y a un bruit qui court... On se chamailla avec entrain sur les plus récentes rumeurs, tant militaires que politiques. «Qui a dit que le bavardage était dangereux ? pensa Tuppence. Quelle ânerie ! C'est une soupape de sûreté. Les gens raffolent des rumeurs. Elles les aident à surmonter leurs soucis, leurs angoisses.» (à suivre...)