Il fait très beau ce 3 juin 1932 à Atlantic City, dans le New Jersey, non loin de New York. C'est l'aube et plusieurs personnes sont réunies sur le petit aéroport dont dispose la ville, une rareté en ces années 1930. Il y a là Stanley Haussner, quarante ans, des allures de gentleman, malgré sa combinaison d'aviateur et son casque de cuir, sa femme Linda, Greg Simson, son mécanicien, et, enfin, Harry Kimball, spécialiste de la météo. C'est ce dernier qui prend la parole : — Jamais les conditions atmosphériques n'ont été aussi bonnes. Vous aurez juste une petite dépression au large de Terre-Neuve, rien de bien méchant. Le vent souffle vers l'est. Il ne devrait pas faiblir. Cela ne peut que vous aider. Stanley Haussner acquiesce. Effectivement, c'est un atout. Dans le réservoir de la Rose-Marie, un monomoteur guère plus grand que l'avion de Lindbergh, il emporte mille six cents litres d'essence. Comme Lindbergh, cinq ans plus tôt, il s'apprête à traverser l'Atlantique, mais lui ne s'en tiendra pas là. Après une courte escale à Londres, juste le temps de faire le plein, il repartira pour Varsovie. Aller des Etats-Unis en Pologne en moins de deux jours, tel est l'exploit que se propose d'accomplir Stanley Haussner. Greg Simson prend la parole à son tour : — Je viens de vérifier le moteur : impeccable, il tourne comme une horloge. Stanley Haussner serre la main de Greg Simson, avec qui il fait équipe depuis six mois, le temps de la préparation du raid. Greg Simson est plus qu'un mécanicien, il a une formation d'ingénieur. C'est lui qui a totalement transformé le moteur de la Rose-Marie pour qu'il soit capable d'accomplir la performance qu'on lui demande. Stanley Haussner voit sa femme Linda au bord des larmes. Cette fois il faut partir ; il ne peut pas prolonger ces moments difficiles plus longtemps. — Tout va bien se passer. Je reviendrai, je te le jure... Pour toute réponse, Linda se jette dans ses bras. Il est visible qu'elle est follement inquiète, même si elle fait tout pour le cacher. Stanley Haussner se dégage doucement et grimpe dans l'avion. Le moteur tourne déjà, et c'est vrai qu'il fait preuve d'une régularité d'horloge. Il desserre les freins. L'appareil se met à rouler lentement. Il aperçoit alors Linda qui court dans sa direction. Il lui envoie un baiser de la main et met les gaz. La Rose-Marie roule de plus en plus vite et s'élève avant d'avoir parcouru la moitié de la piste. Tout de suite, il met le cap au nord, vers Terre-Neuve, d'où la distance est plus courte vers l'Angleterre. Rapidement, il gagne son altitude de croisière, mille sept cents mètres. Le moteur tourne au régime prévu. Il n'y a pas un nuage. Le vent souffle effectivement vers l'est, c'est-à-dire latéralement pour l'instant ; quand il aura pris la direction de l'Europe, il l'aura dans son dos, ce qui lui permettra une notable économie d'essence. Trois heures plus tard, Haussner est au-dessus de Terre-Neuve. La dépression annoncée par Kimball, le météorologue, n'est pas au rendez-vous : encore une bonne nouvelle et un atout supplémentaire pour lui. Le temps est toujours aussi calme. Il s'empare alors d'un sac posé à côté de lui et ouvre son hublot, par lequel il en déverse le contenu : des milliers de petits calicots de toutes les couleurs qui tombent en pluie au-dessous de lui. Chacun d'eux porte le texte suivant : «Bons souhaits. Raid New York-Londres-Varsovie. Stanley Haussner.» C'est ce moyen qu'a imaginé l'aviateur, qui ne dispose pas de la radio, pour donner de ses nouvelles. On saura ainsi qu'il a atteint le dernier point des côtes américaines avant d'entamer la traversée de l'Atlantique. Il vire sur sa droite. Bientôt les rives de Terre-Neuve disparaissent. Maintenant, en dessous de lui, il n'y a que la mer. C'est le seul spectacle qu'il va avoir pendant des milliers de kilomètres, pendant des heures et des heures. L'aventure est vraiment commencée ! (à suivre...)