Expression n La pièce ayant pour titre Le Professeur Kleanow a été présentée, hier, au Théâtre national. Ecrite par la Danoise Karen Bromson, adaptée et mise en scène par Hocine Ben Haïdar, la pièce, une production du Théâtre national, raconte l'histoire d'Elise, une jeune fille qui, fuyant la cruauté de son père, trouve asile chez le professeur Cleanow, après avoir tenté de mettre fin à ses jours ; ce dernier, aimé par Marie, la domestique, tombe amoureux manifestement d'Elise qui, elle, cependant, éprouve des sentiments pour Fidel, l'ami de Cleanow. Et les sentiments sont partagés. L'amitié entre les deux amis est rompue à jamais, car Fidel se révèle un rival pour Cleanow. Par ailleurs, la jalousie s'empare de Marie qui n'hésite pas à dénoncer auprès de son maître les lettres qu'Elise faisait parvenir à Fidel. Ainsi, la pièce s'organise autour de ces amours impossibles et de ces passions douloureuses. Cleanow met Elise devant un cruel dilemme : ou se marier avec lui, ou rentrer chez son père qui, lui, n'hésite pas à l'envoyer se prostituer. Que faire ? Elise n'a d'autres choix que de se résigner à la proposition de Cleanow, ce vieil homme laid, ayant un mauvais caractère et menacé de cécité, en dépit de l'amour qu'elle porte à Fidel, ce jeune et bel homme. La pièce, chargée de tension, se présente comme une peinture de la condition et de la nature humaines, à savoir perfidie, jalousie, avidité, manipulation…. Elle se présente aussi comme lieu de confrontation des sentiments qui prennent le dessus sur la raison ainsi que l'illustration des situations conflictuelles qui en résultent. S'agissant de la forme, la pièce, même si c'est une adaptation, s'avère une création : avec Le Professeur Cleanow, on est dans le théâtre dans un théâtre. Les planches du Théâtre national se transforment en un autre théâtre, celui où sont racontées les histoires et les passions de chacun des personnages – chacun d'eux devient narrateur. Autrement dit, les comédiens incarnent le rôle de narrateurs pour raconter le personnage qu'ils interprètent. Cela sous-entend que le personnage raconte son personnage. Cette façon d'investir les planches et d'interpréter des personnages sous un autre angle nous change du jeu classique par lequel les metteurs en scène, et ce, d'une représentation à l'autre, nous ont habitués. Les comédiens, lorsqu'ils se mettent en scène et entament leur jeu, ne jouent pas les personnages, ceux-ci, qu'ils créent, naissent de l'action qui s'accomplit – ou de celle à venir. Ils évoluent à mesure que les événements prennent de l'ampleur et des tournures inattendues. Les personnages sont imprévisibles tout comme le jeu qui, lui, est soudain, surprenant, haletant. Le jeu nous tient en haleine. Même la fin nous surprend et nous laisse sur notre fin. La pièce n'est pas construite sur un jeu linéaire, et les personnages, lorsqu'ils narrent, ne se mettent pas à discourir, mais à nous faire voir et ressentir des comportements et des sentiments. Ils nous font vivre des situations marquées, d'un bout à l'autre, de tensions et d'émotions. Se renouvelant à chaque séquence, à chaque action, à chaque situation ou à chaque tension, le jeu paraît juste et précis, aéré et fluide. Le jeu, régulier et soigné, était naturel et expressif à l'image même du langage utilisé, c'est-à-dire du registre linguistique à travers lequel les comédiens se sont distingués, à savoir l'arabe classique. L'expression et l'interprétation langagières étaient nettes et distinctes. L'intonation et l'accent confèrent au jeu sa dimension poétique.