Ensuite, le politique investi dans la lutte pour la culture et la démocratie, dialectiquement imbriquées. Il y a, en guise de synthèse philosophique et politique, le Ferhat Mehenni régionaliste et autonomiste kabyle, aujourd'hui séparatiste irréductible. Il y a aussi le Ferhat Mehenni clair et pur, comme l'eau de source des hauts du Djurdjura. Il y a désormais le Ferhat Mehenni moins limpide. Un Ferhat Mehenni qui pratique, à son corps défendant ou de son plein gré, la confusion sémantique et l'amalgame politique. Il y a enfin, d'un point de vue humain, c'est-à-dire du particularisme psychologique, le Ferhat Mehenni qui a subi des traumatismes majeurs. Un Ferhat Mehenni dont les facultés de résilience ne seraient pas sans effets sur ses jugements d'homme politique désormais inscrit dans un mouvement de revendication de la séparation de la Kabylie du corps national algérien. Ce Ferhat Mehenni-là ne rappelle en rien le Ferhat Mehenni patriote unioniste. Un nationaliste qui a tant fait pour faire avancer les causes des droits de l'Homme, de la culture berbère et de la démocratie, trois corpuscules nécessairement insécables en Algérie. Or, sous les ors de la république française, précisément sous les colonnes du Palais Bourbon, Ferhat Mehenni semble avoir cédé récemment à la magie des lieux. Ou à la séduction de députés d'une droite glorificatrice de la colonisation en Algérie. Au point de la ramener lui-même à un détail de l'Histoire. De la considérer comme un simple accident. Mieux ou pire, comme un «malentendu». En conscience ou bien malgré lui, Ferhat Mehenni justifie ainsi la colonisation et la banalise. Il ne pouvait en être autrement quand on sait que le malentendu, selon le Littré, est une mauvaise interprétation, une équivoque, une mésentente, une méprise ou un quiproquo. En somme, une divergence d'appréciation qui entraîne un désaccord. Selon lui, la colonisation française ne fut que cela. Et, du point de vue du fondateur du Mouvement d'autonomie de la Kabylie (MAK) et chef de son GPK, le Gouvernement provisoire de la Kabylie, ce «malentendu», qu'il regrette et qu'il souhaite «dissiper», est enregistré entre l'ancienne puissance coloniale et la Kabylie. Il est même daté à partir de la bataille d'Icherridène en Grande Kabylie (24 juin 1857). Ce «malentendu» a pour point de départ Icherridène et pour point final l'indépendance de l'Algérie. Donc, aux yeux de Ferhat Mehenni, même l'indépendance du pays est un «malentendu». Etant donné qu'en 1962, «la Kabylie n'a jamais récupéré sa souveraineté», «transférée» alors par la France coloniale au pouvoir central de l'Algérie indépendante. Grisé sans doute par le faste du Palais Bourbon, un jour de voeux du Yennayer berbère, Ferhat Mehenni a même trouvé que la France coloniale fut plus clémente à l'endroit de la Kabylie que ne le serait, à ses yeux, le régime algérien depuis 1962. Il le dit d'ailleurs sans ambages : «Ce qui oppose le pouvoir (algérien) à la Kabylie est bien plus lourd que ce qui a opposé la France à la Kabylie depuis 1857 jusqu'à 1962.» Ferhat Mehenni a peut-être des raisons que la raison historique ignore. En ramenant la colonisation française de l'Algérie à une confrontation avec la seule Kabylie, réduite d'ailleurs à un simple «malentendu», Ferhat Mehenni déraisonne. Il place de fait la Kabylie en marge du mouvement nationaliste algérien. De plus, il absout, ipso facto, la colonisation française de tous ses crimes, considérés par lui comme un «malentendu» à «dissiper». Et, pis encore, ses compatriotes, détenteurs du pouvoir depuis 1962, seraient beaucoup plus blâmables que les anciens colonisateurs, leurs méfaits politiques étant, de son point de vue, beaucoup plus graves que les crimes de la colonisation. Dans cette logique, la geste héroïque de Lalla Fathma N'Soumer et des Cheikhs El Mokrani et El Haddad relèvent d'un «malentendu» à «dissiper». La répression et les crimes des divisions commandées en Kabylie par le maréchal Randon et les généraux Mac Mahon, Renault, Yussuf et Maissiat, sont un «malentendu», au même titre que les révoltes conduites par la légendaire Lalla Fathma N'Soumer et les vénérables Cheikh El Mokrani et Cheikh El Haddad. Kif-kif donc. Dans son discours devant des parlementaires français, à l'initiative du député-maire du Raincy, Eric Raout, héraut d'une droite de l'UMP qui s'abîme dans la xénophobie et le racisme, Ferhat Mehenni a dérivé par ailleurs au gré d'une sémantique outrancière. C'est ainsi que le régime algérien, l'actuel comme ses précédents avatars, «agresse, occupe et traite en ennemi» la Kabylie. Où il est question aussi d'«ethnocide», de «génocide», d'une «haine anti-Kabyle», faits imputés à un pouvoir qui pratiquerait délibérément «l'insécurité comme politique décidée». Il serait même question de Kabyles devenus les «nouveaux juifs», c'est-à-dire les victimes d'un Exodus à l'algérienne. Convaincu mordicus que le pouvoir algérien «cherche une confrontation violente avec la Kabylie», au point d'y «favoriser le transfert du terrorisme», notamment depuis les accords de 1997 avec l'AIS, Ferhat Mehenni verse dans un délirium politique tremens. Il glorifie de fait la colonisation. Au même titre que les tenants de la loi scélérate de février 2005 en France. Ferhat Mehenni du MAK et du GPK ignore peut-être qu'il a «assassiné», à l'assemblée française, Ferhat Mehenni d'Imazighen Imoula, de la Ligue algérienne des droits de l'Homme, du RCD originel, du MCB et de la grève du Cartable de 1994. Yahya Brisidène, comme il aurait dit lui. N.K.