Désormais, le Centre national du livre (CNL), dont les missions sont définies dans l'avant-projet de loi sur le livre et le marché du livre aura à se pencher sur le lectorat en établissant les profils des lecteurs, le type d'ouvrages demandés, les statistiques des publications et des ventes pour apporter les correctifs nécessaires aux segments déficients de la filière de production éditoriale dont la distribution et le coût qui sont considérés par les responsables comme étant les maillons faibles de la chaîne du livre qui ont fait reculer le lectorat. Mais dans les faits, la réalité est tout autre. «La régulation doit s'associer à la politique d'incitation à la lecture», certifient des pédagogues. Il faut constituer un lectorat avant de booster la production livresque. On ne met pas un produit sur un marché, quel que soit le produit et quel que soit le marché, s'il n'a pas ses consommateurs. En déclin malgré les festivals et les actions comme le projet d'une bibliothèque par commune et les bibliobus, qui lui sont dédiés par le ministère de la Culture, le livre n'a pas encore retrouvé dans le quotidien des citoyens et sa place au sein de la société, particulièrement l'école. Auteurs, éditeurs et même des responsables confirment cette réalité, appuyée par les chiffres. Autrement dit, le fossé qui s'est creusé entre les ouvrages et leurs consommateurs, n'est pas dû à l'indisponibilité du livre. «Il ne faut pas se fier aux coups de pub mensongers qui veulent accréditer tel ou tel auteur et mousser son ouvrage. Seuls les libraires sont aptes à mesurer l'impact de la lecture en se basant sur les ventes et les stocks», nous confie un professionnel local. En outre, les bibliothèques où se tassent des milliers d'ouvrages observent la même situation. Les statistiques des prêts ne sont pas reluisantes, admet un bibliothécaire communal. Et c'est là un constat effectif relevé dans les espaces livresques en rapport direct avec lectorat, et qui bat en brèche cette idée souvent entretenue selon laquelle la cherté du livre serait la première cause du recul du lectorat. Un lecteur invétéré ou une lectrice assidue saura trouver un livre quand l'envie de lire est là, si ce n'est pas dans une librairie, chez un bouquiniste, un pote ou dans une bibliothèque. Les pouvoirs publics (Premier ministre et ministre de la Culture) ont réitéré lors de l'ouverture du Salon international du livre d'Alger le 30 octobre dernier la nécessité de réguler le marché du livre, en plaidant pour la nécessité d'une stabilité, voire uniformité, des prix, avec option d'exportation. C'est ambitieux, pour ne pas dire démesurer vu l'état dans lequel est le monde de l'édition qui souffle le chaud et le froid, mais la priorité, on ne le répétera jamais assez, est de constituer d'abord un lectorat, les consommateurs du produit dont on veut réduire le prix, bien distribuer et tutti-frutti. Il faut d'abord instiller et cultiver la passion de lire avant de se proposer de la satisfaire, de l'avis de tous les spécialistes et professionnels. Le livre est d'ailleurs disponible, à différents prix, même si on enregistre quelques manques dans le volet des ouvrages spécialisés, dont les prix sont aussi exorbitants. Or, le prix est l'alibi par excellence avancé par les gestionnaires de la culture qui en font la cause majeure du déclin de la lecture, se basant sur ce détail qui ne constitue aucunement un frein pour la promotion de la lecture. Et si on voit des gens acheter des livres, ce sont les ouvrages parascolaires et scientifiques qui se taillent la part du lion dans les achats. Les adolescents et les étudiants s'intéressent aux livres nécessaires qui leur permettent de renforcer leurs connaissances et de multiplier leurs chances pour les examens. «La bibliothèque universitaire bien qu'elle soit grande n'offre pas une gamme riche et adéquate aux étudiants. La plupart des ouvrages y sont introuvables. Les branches scientifiques sont les plus affectées par ce manque», dira un étudiant. Ainsi, la cherté des ouvrages n'est pas le seul paramètre ayant une incidence sur le fléchissement de la courbe du lectorat. Le recul est à endosser à des facteurs multiples dont la démission de l'école et l'absence d'une stratégie de promotion au niveau des bibliothèques. L'incitation n'a pas pris sa vitesse de croisière malgré la profusion des ouvrages dans les bibliothèques municipales. «Il est évident que la reconstitution du panorama de lecture s'impose», soulignent des pédagogues. Pour ce faire, «des étapes en amont doivent se succéder afin que l'enfant développe ce reflexe de prendre un roman sans pression. Ça doit devenir un geste naturel», ajoutent-ils. C'est la démarche à suivre et le passage obligé si on veut redonner au livre la place qui lui sied, en travaillant évidemment à sa large diffusion et distribution pour le rendre disponible partout et pour tous. Et ce ne sont pas les tonnes de livre semées çà et là qui vont l'amorcer. D'autres pédagogues soulignent l'utilité et la nécessité de déceler ce qui rebute l'enfant dans la lecture. Puisque c'est à cet âge que se façonne l'envie de lire. «Ces enseignements peuvent déjà orienter sur ses choix de livres ce qui lui permettra d'être guidé vers des ouvrages destinés à sa catégorie d'âge, avec en prime son goût pour des thèmes choisis. De la simple revue en passant par la bande dessinée et le conte, les enfants tissent leur amitié avec les livres jusqu'à atteindre l'ouvrage littéraire et le roman. Unanimes les enseignants et les libraires prônent un fondement de la lecture au niveau des établissements scolaires et même au niveau des maternelles. C'est là que le premier contact avec les lettres et les pages devraient s'établir pour espérer faire du livre le compagnon de l'enfant et de l'adulte plus tard. Cette relation nouée, les multiples facettes de la production, y compris le prix du livre, ne sauront après éloigner le lecteur du livre qu'on pourra dénicher où qu'il se trouve, d'autant plus que l'outil informatique contribue aujourd'hui à sa diffusion. En liseuse ou en papier, les mots ne perdent pas leur valeur. N. H.