Malik Boumati La ville de Tizi Ouzou a complètement perdu son identité originale. Cette ville de plus de 130 000 habitants n'était qu'un petit village colonial, fondé à la fin du 19e siècle par l'administration et l'armée coloniales pour y accueillir les premiers colons et pénétrer cette région rebelle qui en avait fait voir de toutes les couleurs aux premiers contingents de l'armée française. Un petit village qui comptait des habitations d'un étage seulement et ses rues et ruelles étaient toutes parallèles et perpendiculaires. L'agression contre l'aspect original de la ville a commencé très tôt avec l'érection dans les années soixante-dix du siège actuel de la mairie et de deux cités voisines, qui avaient accueilli des centaines de familles. Le mal fait à l'identité de la ville était plutôt moindre et pouvait être circonscrit, notamment en pensant intelligemment les opérations qui devaient mener à l'extension de la ville. Mais ce qui allait se faire plus tard sera une horreur urbanistique qui a commencé avec la cité dortoir de la « nouvelle ville», réalisée par l'Office de promotion et de gestion immobilière (Opgi). Il faut dire qu'au lendemain de l'indépendance, il n'y avait pas le dixième de la population actuelle à Tizi Ouzou, entre le centre-ville et les vieux quartiers de la haute ville. La grand-rue, actuellement l'avenue Abane Ramdane, était la rue principale de la ville et était incontournable pour tous les habitants et les visiteurs. Elle était une sorte de carte d'identité de la ville. Le lieu de rendez-vous facile à trouver pour tous les étrangers à la ville. L'on ne pouvait pas visiter Tizi Ouzou sans passer par la grand-rue. Aujourd'hui, le visage de cette rue mythique s'est complètement métamorphosé, particulièrement après la réalisation au niveau de ses deux bouts de deux trémies censées améliorer la circulation automobile au centre de la ville des genêts. Ces deux trémies réalisées il y a une dizaine d'années se sont avérées inutiles dans le sens où elles n'ont eu aucun apport positif pour la circulation, mais ont été une véritable punition pour les commerçants et même les piétons, suite à la réduction de la largeur des trottoirs. Mais la grand-rue n'est la seule victime de la politique urbanistique des pouvoirs publics. La ville entière a été massacrée, en termes d'identité culturelle. Elle a subi au fil des ans une véritable clochardisation suite à la politique d'extension qu'elle a eu la malchance de vivre durant l'anarchie des années quatre-vingt-dix. En effet, les coopératives qui poussaient comme des champignons durant le règne des Délégations exécutives (DEC et DEW) ont non seulement donné le coup de grâce à l'identité originale de la ville de Tizi Ouzou mais elles ont aussi accentué son enlaidissement, puisqu'aucune norme urbanistique ni architecturale n'a été respectée. Les quartiers périphériques de la ville, en majorité résidentiels, ont été amochés par des bâtisses hideuses de plusieurs étages érigées en toute illégalité avec la complicité des responsables de l'APC et le silence complice de l'administration, qui a fermé les yeux sur toutes les agressions sauvages subies par la ville de Tizi Ouzou. Une ville qui a perdu son cachet original de manière irréversible tant les agressions contre son patrimoine ont été nombreuses et parfois acharnées, notamment quand les dernières poches foncières qui ont échappé à la folie des hommes, ont été rattrapées par la «bétonisation». Et ce, malgré les déclarations faussement scandalisées des responsables de l'Etat. M. B.