Y aura-t-il une Afrique du Sud de l'après Mandela ? Pendant les quatre années à la tête de l'Afrique du Sud, Mandela avait une mission impossible : réconcilier les pires ennemis. Mandela, a-t-il réussi à insuffler sa grandeur d'âme et d'esprit à son peuple noir qui a connu des siècles d'oppression, de brimades, de tortures, de massacres et d'humiliation ? Toute la question est là. Si certains Sud-Africains, victimes du système de l'apartheid, ont entretenu leur haine aux Blancs et si d'autres sont même passés à l'action pour se venger de ce qu'ils ont subi, il n'en demeure pas moins que la majorité des Noirs, des métisses et des indiens ont joué le jeu et ont pardonné. Mandela a réussi à mettre victimes et bourreaux face à face, les yeux dans yeux et à les faire parler. La Commission justice et vérité aura-t-elle réussi à exorciser tous les démons, à cicatriser les plaies profondes et à consacrer le pardon ? Si politiquement, l'Afrique du Sud est aujourd'hui un Etat multiracial où les droits de tous sont égaux et respectés, économiquement et socialement, l'apartheid de fait est manifeste. Officiellement, l'apartheid est banni, et l'Afrique du Sud est un Etat démocratique dont les institutions sont dominées par la majorité de la population. Mais les disparités économiques et sociales sont aussi manifestes que le paradoxe qui caractérise l'Afrique du Sud : la théorie du développement inégal et combinée s'y vérifie parfaitement. Deux mondes antagoniques cohabitent : une Afrique du Sud blanche très développée sur tous les plans et une Afrique du Sud noire très sous-développée. Des villes modernes entourées de townships faites de bidonvilles et de baraques de fortunes surpeuplées de Noirs vivant dans la misère et sans perspectives. L'Afrique du Sud reste marquée par des distorsions sociales, vestiges de l'ère de l'apartheid qui ont l'air d'avoir la peau dure. Cet héritage constitue une bombe sociale à retardement qui risque d'exploser à tout moment si l'ANC et l'élite blanche sud-africaine ne font rien pour rééquilibrer une situation à risque. Si l'Afrique du Sud est le pays africain le plus industrialisé avec d'énormes richesses et ressources naturelles, elle ne constitue pas pour autant un modèle de développement social tant que la majorité des noirs ne bénéficient pas de l'usufruit de ce potentiel avéré. L'amélioration de la qualité et du niveau de vie des habitants par des moyens politiques et économiques est une urgence vitale pour la stabilité de la première puissance d'Afrique. Le pouvoir politique en Afrique du Sud est, théoriquement, une démocratie. En effet, cela se justifie par des critères tels que la séparation des pouvoirs, l'autonomie du politique ou encore l'inscription des citoyens sur les listes électorales selon des modalités transparentes. Bien que l'ANC domine largement le terrain politique, l'opposition reste vivace et l'Afrique du Sud est souvent considérée comme le pays le plus démocratique d'Afrique. Malgré les réussites économiques de l'Afrique du Sud et la fin de l'apartheid, 48 millions de ses habitants vivent toujours sous le seuil de pauvreté et les écarts de richesse ne cessent de s'accroître. Des personnes sont au chômage alors que le pays continue à déployer des efforts pour créer davantage de postes d'emploi pour les citoyens. Des foyers noirs étaient encore dans la catégorie des revenus faibles alors que des foyers détenaient des richesses totales du pays. Néanmoins, les conditions de vie s'améliorent : 87% des moins de 13 ans sont scolarisés, et les pauvres qui vivent dans les bidonvilles ont vu leurs conditions de vie s'améliorer en ayant davantage accès à l'eau ou à l'électricité. En termes de santé, l'Afrique du Sud est l'un des pays les plus touchés au monde par le Sida (environ 25% de la population en 2003). l'ANC, instrument d'émancipation ou cause de l'éclatement l'ANC était avant la fin de l'apartheid et jusqu'à la dernière élection, le porte-voix des Noirs, des métisses et des indiens d'Afrique du Sud. Lorsque les Noirs ont pris le pouvoir en 1990, des leaders de l'ANC ont goûté au faste et au plaisir des richesses ce qui a ouvert l'appétit de certains membres de l'ANC qui se sont enrichis. Depuis 1994, et sur la base du volontariat, pratiquement tous les grands groupes miniers et les banques ont cédé entre 10 et 26% de leur capital à des noirs, indiens et métis. Dans un premier temps, une petite élite noire, issue des leaders de l'ANC, s'est reconvertie dans les affaires en bénéficiant de grosses cessions de capital d'entreprises. Le plus riche d'entre eux est Patrice Motsepe qui a accumulé une fortune de plus de 500 millions de dollars en à peine dix ans. Depuis 2000, des objectifs précis ont été négociés dans certains secteurs (mines, banques, distribution du pétrole, etc.). Ainsi, selon la charte minière de 2002, toutes les compagnies doivent céder 26% de leur capital d'ici à 2014. Les Noirs devront représenter 40% des cadres en 2009. Les compagnies qui ne respecteront pas ces conditions pourront perdre leurs droits d'exploitation. C'est dans ce cadre que De Beers, premier producteur mondial de diamant, a annoncé le 8 novembre 2005, qu'il cédait 26% de ses mines en Afrique du Sud à un consortium noir, Ponahalo (détenu à 50% par De Beers) présidé par Manne Dipico, ancien Premier ministre du Cap-Nord. À la fin de l'année 2005, Jonathan Oppenheimer, le directeur exécutif de la De Beers, devait laisser son poste à un noir pour ne garder que la présidence. Les autres bénéficiaires de l'opération sont alors l'ancienne ambassadrice sud-africaine en Grande-Bretagne, tout comme les 18 000 employés de De Beers, qui détiennent 50% de Ponahalo. Ce consortium regroupe pas moins de 80 000 personnes. Il a annoncé qu'il réinvestira une partie de ses dividendes dans des projets sociaux. Ces changements devraient ainsi dissiper le climat de méfiance qui pèse sur les relations entre le gouvernement et De Beers. Elle pourrait ainsi empêcher le gouvernement de mettre en action ses menaces de taxation des exportations de diamants. Ainsi donc, Mandela a mis en place les mécanismes juridiques et légaux devant permettre le transfert d'une partie des richesses à la majorité des Sud-Africains. Cependant, la manière dont le transfert de ces parts a été faite a favorisé l'enrichissement d'individus. C'est à ce titre que l'ANC est accusé de corruption et ses leaders d'abus de délit d'initié. Cette situation a poussé certains membres influents de l'ANC de se défaire du vieux parti et de proposer d'autres alternatives politiques. C'est ce qui a motivé Julius Malema, ancien leader de la jeunesse de l'ANC, à créer The Economic Freedom Fighters (les combattants de la liberté économique) qui était un mouvement politique informel. Désormais, l'ANC qui était une puissante machine politique ayant fédéré tous les Noirs, métisses et Indiens, n'est plus seul sur le terrain politique de l'Afrique du Sud. Le EFF, lancé officiellement en octobre dernier, s'est inscrit dans l'opposition et compte bien balayer l'ANC lors des législatives de 2014. Plus de 5 000 personnes sont venues de tout le pays pour participer à l'inauguration du parti. La scénographie de l'événement avait été minutieusement préparée, l'apparition du chef, orchestrée avec soin. Selon le magazine Le point, Malema a bien choisi le lieu de la proclamation de son parti : Marikana, là même où 34 mineurs ont été abattus par la police sud-africaine le 16 août 2012. Quelques jours après le massacre, Julius Malema avait investi le terrain pour dénoncer la trahison du Congrès national africain (ANC) et avait appelé les mineurs à «ne jamais battre en retraite, même devant la mort». Ici, tout le monde se souvient de «son soutien, personnel et financier», après le drame. Une popularité sur laquelle le jeune leader de 32 ans continue de capitaliser. «Quand vous irez voter, l'année prochaine, souvenez-vous des mineurs morts à Marikana», a-t-il d'ailleurs rappelé à ses partisans. Le Point le décrit comme populiste, Julius Malema, qui se présente comme le champion des pauvres et des jeunes sans emploi, a promis qu'il rendrait «leur dignité aux Noirs», et qu'il ferait de son parti «un refuge pour les déshérités». Le leader est revenu longuement sur sa promesse de nationaliser la terre, pour assurer un juste partage des richesses. «Ceci est votre terre. Vous n'avez pas à payer pour votre terre. Elle a déjà été payée par la sueur de vos ancêtres», a-t-il proclamé. «Jusqu'à aujourd'hui, (les Blancs) n'ont pas eu honte de tuer notre peuple. Ils veulent nous voir à genoux devant eux. Mais nous n'allons pas les supplier. Ils doivent nous la rendre !» Julius Malema cherche à occuper une place à l'extrême gauche de l'échiquier politique, présentant son parti comme une alternative pour ceux qui ont été «trahis» par l'ANC et le président Jacob Zuma. «Corrompu», «dictateur», les adjectifs fusent lorsque ses partisans évoquent le président Zuma. «L'ANC n'a jamais rien fait pour le peuple», assure Salamina, 18 ans. «Aujourd'hui, l'apartheid existe toujours en Afrique du Sud. Les Blancs habitent dans de grandes maisons, alors que les Noirs vivent dans des bidonvilles. Vous imaginez ? Jacob Zuma s'est fait construire un palace, alors que nous vivons sans eau ni électricité.» La jeune fille, originaire d'un petit village de la région de l'Eastern Cape, votera pour la première fois cette année. Le vote des jeunes est un enjeu important des élections de 2014. Nés à la fin de l'apartheid, moins fidèles à l'ANC que leurs parents, ils représentent autant d'électeurs potentiels pour les nouveaux partis d'opposition. A. G.