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L'Afrique du sud face aux contradictions hérité de l'apartheid
Les inégalités sociales menacent le pouvoir de l'ANC
Publié dans La Tribune le 08 - 10 - 2012

Le poumon de l'économie sud-africaine, qu'est l'exploitation minière, est quasiment à l'arrêt depuis le début du moi de septembre. Les ouvriers n'en peuvent plus des conditions de travail et des salaires considérés en-deçà de leur labeur. La riposte des forces de sécurité est sanglante. A Marikana, 34 mineurs sont abattus par la police. Une tragédie qui rappelle les massacres quotidiens des Noirs par les Blancs sous le régime de l'apartheid. Le président d'Afrique du Sud n'a rien trouvé à dire que de regretter ce «tragique accident». L'ANC est-il timoré à ce point ? Manifestement, la vieille garde de l'ANC au commande du pays, a accepté le fait accompli d'une domination économique par les Blanc qui détiennent l'essentiel des richesses du pays alors que des millions de Sud-africains noirs vivent toujours dans des ghettos de misère, souvent sans électricité ni eau.Dix-huit ans après la fin de l'apartheid, rien n'a changé pour la grande masse des Sud-africains qui vivent dans des conditions socio-économiques en contradiction totale avec la réalité politique du pays. Le deal de l'abolition de l'apartheid semble être : les Noirs gouvernent, les Blancs dominent l'économie. Pourtant, depuis 1912, l'ANC militait pour l'émancipation des Noirs sur tous les plans : économique, politique, social et culturel. Manifestement, la dimension économique a été exclue des compromis faits en 1994 et la direction de l'ANC a favorisé la réconciliation nationale et la cohabitation pacifique des ethnies et des cultures aux dépens des droits économiques de la majorité des Sud-africains.

Centenaire dans le déchirement
Le centenaire de l'ANC, célébré en grande pompe en janvier 2012, est intervenu dans un contexte de déchirement du plus vieux parti indépendantiste d'Afrique. La classe dirigeante du pays et de l'ANC est accusée d'avoir failli à ses engagements séculaires, de corruption, d'enrichissement illégal et de compromission avec les lobbies d'affaires dominés par les Blancs et quelques Noirs parmi les
dirigeants de l'ANC. Des analystes relèvent que la population se détourne progressivement de son symbole qu'est l'ANC. Pour Julien Peyron : «l'usure du pouvoir pourrait-elle avoir raison de la domination sans partage qu'exerce l'ANC sur l'Afrique du Sud depuis près de 18 ans ? À l'heure où la formation politique célèbre son centenaire dimanche 8 janvier, la population sud-africaine semble se détourner peu à peu du parti qui a incarné la lutte contre l'apartheid et porté en son sein certains des plus grands héros de la nation.» Pour Mamadou Diouf, historien et enseignant à l'Université Columbia de New York : «(…)la cohésion de l'ANC est mise à l'épreuve depuis son arrivée au pouvoir en 1994». Il considère toutefois les problèmes rencontrés par le parti comme un signe encourageant pour l'avenir du pays. «Il est sain que le parti au pouvoir soit attaqué, qu'il connaisse des luttes internes et qu'il doive faire face à la diversification du paysage politique. Ce processus, couplé à l'émergence d'autres courants en son sein, s'inscrit dans l'évolution naturelle de toute société démocratique et l'enrichit», analyse-t-il. Mamadou Diouf estime que la diversification de la vie politique ne met pas en danger la société sud-africaine, «où, contrairement à d'autres pays du continent, la presse est libre et la société civile bien avancée». Bien que l'hégémonie de l'ANC soit désormais contestée, Mamadou Diouf reste convaincu que le parti va continuer à dominer la vie politique au cours des prochaines années. «Je ne vois pas l'ANC perdre le pouvoir dans un futur proche, sauf crise majeure, car toute la mythologie nationaliste du parti reste ancrée dans la société sud-africaine.» La première économie d'Afrique place l'Afrique du Sud parmi les pays émergeants qui aspirent à jouer un rôle géopolitique de premier plan aussi bien sur le plan continental que mondial. Mais paradoxalement, en Afrique du Sud cohabitent deux modes de vie antagoniques de nature à alimenter les haines latentes et canaliser les violences vers un affrontement de classes. A ce titre, Mamadou Diouf estime que le : «le principal défi pour l'ANC, c'est de
s'attaquer aux inégalités économiques et sociales, qui sont les causes d'une extraordinaire violence urbaine et de problèmes considérables dans les domaines de l'éducation et dela santé».Les conséquences de ces énormes inégalités sociales, manifestes se répercutent sur la dynamique économique, globale du pays. Il s'agit là d'une lame de fond qui risque de remettre sur la table toutes les contradictions historiques de l'Afrique du Sud et que les Afrikaners et les dirigeants de l'ANC ont préféré, sinon reporter, du moins taire, dans l'espoir de voir une bourgeoisie noir émerger et occuper une place de choix dans l'économie du pays et absorber ainsi la colère et les frustrations des Sud-africains noirs. Tout cela, juste pour préserver une paix sociale, précaire et donner l'image d'une Afrique du Sud multiethnique, multiculturelle et réconciliée. Cette approche folklorique qui domine depuis 1994 semble avoir atteint ses limites. Aujourd'hui, c'est l'économie du pays qui est menacée de paralysie. La grève des mineurs qui se radicalise de jour en jour est un signe avant-coureur d'une explosion sociale pouvant se structurer autour des syndicats combatifs de tous les secteurs, notamment ceux de
l'éducation et de la santé, d'autant plus que les camionneurs ont rejoint la lutte provoquant la paralysie de bon nombre de secteurs et névralgiques comme les industries mécanique et pétrochimique. Cette situation décourage les investisseurs et les milieux d'affaires internationaux qui redoutent une escalade et une généralisation des mouvements de protestation sociale et économique. «La situation n'est pas rose», constate Mohammed Nalla, analyste chez Nedbank Capital à Johannesburg. Les perspectives «se dégradent», dit-il, parlant d'«un déclin institutionnel et un déclin structurel qui s'installe dans l'économie». Pour lui et nombre de confrères, le problème vient de l'irresponsabilité du pouvoir qui échappe à toute sanction même en cas d'échec. Faute de rival sérieux, l'ANC est accusé de se préoccuper davantage de s'enrichir et consolider sa mainmise. Depuis des mois, ses membres sont concentrés sur le congrès qui doit avoir lieu en décembre et sur l'élection du président de l'ANC, amené de facto à devenir président d'Afrique du Sud.Le président Zuma pourrait avoir comme adversaire le vice-président Kgalema Motlanthe, qui ne s'est pas déclaré. En attendant, ni l'un ni l'autre n'ose prendre des décisions et risquer de s'aliéner des soutiens. Cette dérive politique a commencé à ronger la confiance des investisseurs. Cette semaine, l'agence de notation Moody's a dégradé d'un cran la note de l'Afrique du Sud, à Bâle, à l'égal de la Russie, du Brésil ou de la Thaïlande. Les doutes de Moody's tiennent au double déficit de l'Afrique du Sud -balance commerciale et budget- et à l'apathie gouvernementale face aux difficultés économiques, croissantes. Ironie du sort, le coup de semonce de Moody's survient au moment où l'Afrique du Sud rejoint le club fermé des pays admis dans le panier de référence des emprunts d'Etat au sein du Citi Index. Mais si la mauvaise impression s'installe durablement, alors l'Afrique du Sud pourrait rapidement connaître de sérieux problèmes, et le moment ne pourrait pas être plus mal choisi. En mal de rentabilité dans le monde développé, les investisseurs misent sur les marchés africains, plus risqués mais en croissance, et assis sur d'importantes richesses minières, comme l'Afrique du Sud. La dette sud-africaine et le Rand gardent leur attrait, permettant à Pretoria de maintenir son déficit public et commercial sous contrôle. Mais, souligne M. Nalla, «cela ne peut pas durer éternellement». Un ralentissement de l'afflux de capitaux étrangers coûterait cher à l'Afrique du Sud : les frais d'emprunt augmenteraient, le budget serait sous pression, la monnaie affaiblie, ce qui renchérirait le coût du pétrole importé. «La situation n'est pas comparable au Zimbabwe, on ne voit pas les investisseurs partir en courant les mains en l'air», commente Peter Attard Montalto, analyste à la banque d'investissement Nomura. Mais «on assiste à une lente et constante série de contre-performances», l'Afrique du Sud «ne réalise pas complètement son potentiel». Le pays est préservé provisoirement par les quelques institutions qui fonctionnent mais les vrais problèmes ne sont pas réglés. «Les investisseurs vont voir la Banque centrale, ou le Trésor, qui sont des institutions de tout premier ordre, de qualité égale sinon meilleure que dans les pays développés. Ils ne traitent pas avec le ministère de l'Education, du Travail», explique Peter Attard Montalto. Or, c'est «là qu'on mesure les vrais problèmes. Sans parler de l'échelon provincial dont la vaste majorité souffre d'une grande inefficacité et d'une forte corruption».

L'ANC a oublié son socle social
Englué dans ses batailles intestines de leadership, l'ANC a manifestement oublié les masses pour qui il a existé et par qui il gouverne. Depuis le retrait de Nelson Mandela de la scène politique en 1999, le parti anti-apartheid s'est transformé en une véritable nomenklatura dirigée, par des apparatchiks et des politicards au service de leur ambition personnel. Le vent de contestations qui secoue l'Afrique du Sud depuis début septembre, ne semble pas intéresser l'appareil de l'ANC dont les protagonistes politiques portent des visières pour braquer leurs regards sur la seule échéance du congrès de l'ANC devant désigner le futur chef du parti. Le président Jacob Zuma part avec un avantage dans la bataille pour conserver le pouvoir qui l'opposera en décembre à ses adversaires au sein de l'ANC, de parti qui gouverne l'Afrique du Sud depuis 1994. En principe, celui qui deviendra président de l'ANC en décembre prendra (ou conservera) le poste de chef de l'Etat à l'issue des élections en 2014, sauf arrangement inédit sur lequel la presse commence à spéculer. Pour l'instant seul sur la ligne de départ dans la course à la présidence du parti, qui sera remise en jeu au congrès de Mangaung du 16 au 20 décembre, M. Zuma pourra compter sur un bataillon providentiel de délégués du Kwazulu-Natal, sa province natale et bastion politique. Le nombre de délégués zoulous a enregistré une hausse spectaculaire de 36%, liée à une hausse des adhésions et à une clé de répartition régionale arrêtée dans le secret des instances du parti. M. Zuma devrait ainsi pouvoir compter sur la loyauté sans faille de 974 délégués, sur 4 500 réunis pour élire une nouvelle direction pour cinq ans. Autre bonne surprise pour M. Zuma, si la fédération zouloue arrivera en force, la grande fédération du Cap oriental (sud), région natale de Nelson Mandela et fief xhosa, semble, elle, affaiblie. L'ANC y aurait perdu des adhérents, et certaines sections n'ont pas rempli les critères pour avoir un représentant au congrès. Deuxième en nombre de délégués au congrès, elle n'en comptera que 676. «A ce stade, il (M. Zuma) devrait remporter le vote avec une petite majorité», estime Mari Harriss, directrice de l'institut de sondage Ipsos Markinor. «Mais tout peut changer», ajoute-t-elle prudemment. Les observateurs n'ont pas oublié la leçon de 2007 quand le prédécesseur de M. Zuma, le président Thabo Mbeki, avait été brutalement acculé à la démission, un spectaculaire régicide politique qui avait pris tout le monde de court. Rien ne dit que M. Zuma ne puisse pas subir le même sort alors que l'appareil du parti est travaillé par de puissantes lignes de fractures et imprévisibles jeux d'alliance, mêlant des considérations de doctrine politique, de personnes, et d'affinités régionales et linguistiques. L'ANC est quasiment en situation de parti unique dans un pays où, malgré un grand désenchantement populaire, la majorité de l'électorat hésite à sanctionner le parti qui a renversé le régime raciste de l'apartheid. Certains prédisent pourtant un sombre avenir à l'ANC et le somment de «changer ou de mourir», selon la formule utilisée par un de ses ténors, Tokyo Sexwale, ministre du Logement. Si l'on en croit le quotidien The Star, le président Zuma aurait proposé un ticket inédit à son actuel vice-président Kgalema Motlanthe. Selon ce scénario, Zuma conserverait la tête du parti, et laisserait à Motlanthe, en échange, la présidence du pays en 2014. Cet ancien syndicaliste jouit d'une meilleure cote de popularité, avec 51% d'approbation contre 48% à M. Zuma, selon une récente enquête TNS. Les médias spéculent depuis plusieurs mois sur sa possible entrée en campagne face à M. Zuma et ont commencé à compter les points dans le match entre les deux hommes. En l'état, M. Motlanthe pourra, s'il est candidat, compter sur le soutien de la turbulente Ligue de jeunesse du parti. Mais si elle a fait beaucoup parler d'elle ces derniers temps à cause des incartades répétées de son ex-président Julius Malema, exclu en avril pour indiscipline, la Ligue est un poids plume au sein de l'appareil. Elle aura 45 délégués au congrès qui seront bien en peine de faire pencher la balance. Seule certitude, la prochaine direction de l'ANC aura beaucoup à faire pour faire oublier des mois d'immobilisme. Tétanisé par l'approche du congrès, le parti laisse pour l'instant sans réponse la crise sociale qui ébranle le pays. La tragédie de Marikana, avec ses 34 mineurs tués par la police, ne cache pas l'impatience et la frustration de millions de Sud-Africains mécontents de leur quotidien économique, qui n'a que peu ou pas changé depuis l'avènement de la démocratie et la prise de pouvoir par l'ANC il y a 18 ans.
A. G.

La poudrière des grèves en Afrique du Sud
L'Afrique du Sud est touchée depuis deux mois par une vague de grèves sauvages qui a démarré de façon
sanglante à la mine de platine de Marikana près de Rustenburg (nord) avant de s'étendre à tout ce bassin minier, puis à des mines d'or et dans une moindre mesure, de charbon.
Platine
- Amplats, numéro un mondial du platine (filiale du géant anglosud-africain Anglo American, coté à Londres et Johannesburg) : des grèves sauvages bloquent tous les puits du bassin de Rustenburg (province du Nord-ouest) depuis le 12 septembre (28 000 salariés). Les grévistes réclament 16 000 rands mensuels (1 450 euros). Des violences ont fait au moins six morts cette semaine.
- Les arrêts de travail sauvages se sont étendus cette semaine à deux puits exploités dans la province voisine du Limpopo (Union Mine et Bokoni).
- Lonmin (groupe britannique coté à Johannesburg et Londres) : l'activité a repris le 18 septembre après six semaines de grève sauvage qui a fait 46 morts. Un accord a concédé 11 à 22% de hausse de salaire.
- Implats, filiale d'Impala (groupe sud-africain coté à Johannesburg et Londres): la direction a accordé 4,8% de hausse de salaire le 27 septembre pour préserver la paix sociale. En février-mars, elle avait déjà accordé jusqu'à 18% de hausse après une grève sauvage de six semaines qui avait fait trois morts.
Or
- Dans ce secteur, les mines sud-africaines sont liées par un accord de branche négocié par le syndicat national NUM jusqu'en juin 2013. La Chambre des mines a cependant accepté mercredi de réviser les salaires et devrait faire une offre mardi dernier.
- Gold Fields (groupe sud-africain coté à Johannesburg et New York) : les 15 000 mineurs de Kloof-Driefontein Complex West (KDC West) à Carletonville près de Johannesburg ont débrayé le
9 septembre, rejoints le 21 septembre par la mine de Beatrix qui compte 9 000 mineurs (province de l'Etat libre, centre). La situation s'est tendue depuis mardi soir à Carletonville après la décision de la direction
d'expulser les grévistes de leurs foyers d'hébergement. Les grévistes réclament 12 500 rands mensuels
(1 118 euros)
- Gold One (groupe coté à Johannesburg et Sydney, contrôlé par des capitaux chinois): une grève sauvage pour les salaires a démarré lundi sur le site d'Ezulwini qui emploie 1 800 mineurs près de Johannesburg. La direction a suspendu 1 300 à 1 400 mineurs, qui doivent comparaître en conseil de discipline.
- Harmony Gold (groupe sud-africain coté à Johannesburg et New York) : l'accès de la mine de Kusasalethu dans le West Rand, près de Johannesburg, était bloqué jeudi dernier par des piquets de grève. Le mouvement a démarré mardi et est largement suivi parmi les 5 400 mineurs.
- AngloGold Ashanti (groupe sud-africain coté à Johannesburg, New York, Londres, Sidney et Accra) :
24 000 mineurs du site de Mponeng (province du Nord-Ouest) ont débrayé et demandent 12 500 rands
mensuels.
Autres mines
- Samancor (groupe sud-africain coté à Johannesburg) : le site de Western Chrome Mines (WCM) qui extrait du chrome à Mooinooi, près de Marikana (province du Nord-Ouest) est affecté par une grève sauvage depuis le 14 septembre.
- Kumba Iron Ore, filiale d'Anglo American : la mine de fer de Shishen (province du Cap du Nord) est
partiellement affectée depuis mercredi dernier par une grève sauvage menée par environ 300 salariés, ne se réclamant d'aucun syndicat.
- Petmin (groupe sud-africain coté à Johannesburg) : la mine de charbon de Somkhele dans le Kwazulu-Natal est affectée depuis le 28 septembre par une grève sauvage de 345 mineurs employés, aujourd'hui menacés de licenciement. Un vigile a été tué à la machette mercredi, selon la police. Des négociations sont en cours selon la direction.
- Coal of Africa (groupe sud-africain coté à Johannesburg et Sidney) : la mine de charbon de Mooiplaats
(province du Mpumalanga) est affectée par une grève légale depuis le 25 septembre.
Autres secteurs
- Environ 20 000 routiers ont lancé le 24 septembre une grève nationale à l'appel de leur syndicat, le Satawu, qui négocie les augmentations de salaires pour 2013 et 2014, exigeant 12% de hausse contre environ
8,5% proposés par le patronat. La grève a commencé à affecter l'approvisionnement de stations-service.


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