Nelson Mandela, l'homme au mandat unique, et encore, ce mandat, il l'avait accepté difficilement, ne doit pas reconnaître ce que les «siens» ont fait de l'Afrique du Sud où règne maintenant un système de «corruption légalisée ». Le pouvoir absolu corrompt absolument... En dépit d'accusations de corruption, le président Jacob Zuma a été réélu à la direction du Congrès national africain (ANC) le 18 décembre dernier. Mais les signes de fragilisation se multiplient, comme la création du parti Agang Construisons) par la célèbre militante antiapartheid Mamphela Ramphele, en vue de l'élection présidentielle de 2014. La sanglante répression de la grève des mineurs de Marikana, le 16 août 2012, a révélé l'ampleur de la crise sociale et les débats qu'elle suscite dans le pays. Depuis la présidence de Thabo Mbeki (1999-2008), la collusion entre le monde des affaires et la classe dirigeante noire est patente. Ce mélange des genres trouve son incarnation dans la personne de Cyril Ramaphosa, 60 ans, successeur désigné de M. Zuma, élu vice-président du «Congrès national africain» (African National Congress , ANC) en décembre 2012. A la veille du massacre de Marikana, M. Ramaphosa avait envoyé un message électronique à la direction de Lonmin, lui conseillant de résister à la pression exercée par les grévistes, qu'il qualifiait de «criminels». Propriétaire de McDonald's Afrique du Sud et président, entre autres, de la société de télécommunications MTN, M. Ramaphosa est aussi l'ancien secrétaire général de l'ANC (1991-1997) et du Syndicat national des mineurs (National Union of Mineworkers NUM, 1982-1991). Acteur central des négociations de la transition démocratique entre 1991 et 1993, sera évincé par M. Mbeki de la course à la succession de Nelson Mandela. En 1994, le voici recyclé dans les affaires, patron de New African Investment (NAIL), première société noire cotée à la Bourse de Johannesburg, puis premier milliardaire noir de la «nouvelle» Afrique du Sud. Il dirige aujourd'hui sa propre société, Shanduka, active dans les mines, l'agroalimentaire, les assurances et l'immobilier. Parmi ses beaux-frères figurent Jeffrey Radebe, ministre de la Justice, et Patrice Motsepe, magnat des mines, patron d'African Rainbow Minerals (ARM). Celui-ci a tiré profit du Black Economic Empowerment (BEE) mis en œuvre par l'ANC : censé profiter aux masses historiquement désavantagées», selon la phraséologie de l'ANC, ce processus de «montée en puissance économique des Noirs» a en fait favorisé la consolidation d'une bourgeoisie proche du pouvoir. Le pillage à grande échelle Moeletsi Mbeki, le frère cadet de l'ancien chef d'Etat, universitaire et patron de la société de production audiovisuelle Endemol en Afrique du Sud, dénonce un système de «corruption légalisée». Il souligne les effets pervers du BEE : promotion «cosmétique» de directeurs noirs (fronting) dans les grands groupes blancs, salaires mirobolants pour des compétences limitées, sentiment d'injustice chez les professionnels blancs dont certains préfèrent émigrer. Si l'adoption d'une charte de BEE dans le secteur minier, en 2002, en a fait passer 26% entre des mains noires, elle a aussi promu nombre de barons de l'ANC à des postes de direction importants. Manne Dipico, ancien gouverneur de la province du Cap-Nord, occupe ainsi la vice-présidence des opérations sud-africaines du groupe diamantaire De Beers. Le BEE a aussi favorisé des anciens de la lutte contre l'apartheid, qui ont renforcé leur position d'influence au sein du pouvoir. M. Mosima (Tokyo) Sexwale, patron du groupe minier Mvelaphanda Holdings, a pris en 2009 la direction du ministère des Human Settlements (bidonvilles). Quant à Patrice Motsepe, il se distingue dans le classement Forbes 2012 au quatrième rang des fortunes d'Afrique du Sud (2,7 milliards de dollars). Il a rendu un grand service à l'ANC en annonçant le 30 janvier le don de la moitié de ses avoirs familiaux (100 millions d'euros environ) à une fondation qui porte son nom, pour aider les plus pauvres. Même s'il ne fait pas d'émules, on ne pourra plus reprocher à l'élite noire de ne pas partager son argent.