«Tous les enfants ont du génie, le tout est de le faire apparaître», disait Charlie Chaplin dans Ma vie. Et ce génie, chez nous, on le fait disparaître, on l'anéantit et on le tue, car, dans nos cités, nos villes et nos campagnes, ils sont des milliers à être dans les rues et les champs, contraints de travailler et de se débrouiller pour survivre ou pour faire vivre leurs familles dans le besoin. Adultes avant l'heure, leur enfance ayant été confisquée, ils se retrouvent du jour au lendemain dans l'univers du travail normalement réservé à leurs aînés. Et comme on dit, l'enfant qui ne sait pas jouer, deviendra un adulte qui ne saura pas penser. L'école pour eux a été juste un bref intermède dans leur vie avant de l'abandonner et de la quitter définitivement pour se retrouver dans un monde qui n'est pas le leur et auquel ils n'ont pas été préparés. Combien de petits génies en herbe se sont sclérosés et n'ont pas pu éclore et s'épanouir ? Combien d'artistes, de graines d'écrivains, inventeurs, physiciens, mathématiciens et autres ont raté leur vocation et sont passés à côté du brillant avenir auquel ils étaient promis parce que l'on n'a pas su s'occuper d'eux et leur garantir ce minimum de sécurité sociale qui leur permette de vivre normalement et de poursuivre leurs études ? L'avenir d'un pays se mesure à l'aune des générations qu'il prépare et les enfants en sont la matière première brute qu'on peut former et façonner pour assurer sa pérennité, son développement et son devenir. Or, une partie de cette frange fragile de la population est abandonnée à son triste sort et livrée à la rue, et parmi cette population il se pourrait qu'il y ait de petits génies que le pays aura égarés dans les méandres d'une politique sociale qui a failli. Ils sont garçons de café, plongeurs ou serveurs dans des restaurants, receveurs dans des bus privés de transport en commun, vendeurs à la sauvette dans les rues. Ils ont à peine 15 ans et pourtant, ils sont adultes avant l'heure, ils n'ont pas les mêmes préoccupations que les autres enfants de leur âge, encore moins leurs penchants, leurs rêves sont autres. Mais quelque part, au plus profond d'eux-mêmes, ils restent malgré tout des enfants, et cela est perceptible à travers leurs regards, des regards qui appellent au secours et qui demandent à être sortis de l'enfer qu'ils vivent au quotidien, un enfer qui, souvent, se prolongera toute leur vie. Dans les champs, en l'absence de mécanisation de l'agriculture, ce sont les enfants qui prennent le relais. Ils ramassent les tomates, les melons, les pastèques, font la cueillette des olives, des oranges. Ils sont sous-payés et exploités. C'est une forme d'esclavage moderne dans cette Algérie riche à milliards et qui pourtant abandonne ses enfants au travail au noir. Les services de l'inspection du travail, censés sévir et réprimer ce type d'activité illégale, ne contrôlent ni restaurants ni cafés ni pâtisseries ou autres en ville, et ne se déplacent pas dans les champs, laissant faire ces esclavagistes qui bafouent impunément les lois et les conventions. L'Algérie a pourtant signé le 26 janvier 1990 la convention relative aux droits de l'enfant, qui a été ratifiée le 16 avril 1993. Pourtant, nos enfants continuent à voir leurs droits piétinés et leur devenir hypothéqués, et c'est tout le pays qui en pâtira à l'avenir. M. R.