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Le disfonctionnement de la filière et du circuit commercial apparaît
Devant une surproduction de pomme de terre subite
Publié dans La Tribune le 22 - 12 - 2013

La production de pomme de terre a atteint un niveau record de 5 millions de tonnes lors de la campagne agricole 2012-2013. Le manque de capacités de froid et de conditionnement a contraint les agriculteurs à vendre leur récolte à un prix inférieur à 20 DA/kg, le prix minimum garanti par le système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac) permettant de protéger les revenus de l'agriculteur. D'autres, par peur de ne pas trouver preneur ont procédé à l'arrachage massif de leur récolte et ont demandé à ce que le Syrpalac absorbe leur production. Un état des lieux qui a fini par susciter beaucoup d'appréhensions chez de nombreux producteurs de ces tubercules. Une inquiétude grandissante révélée par le Cnifpt. Ce dernier avait dans un premier temps alerté les pouvoirs publics. Comme il avait aussi décidé, après avoir
reçu l'aval de la tutelle (ministère de l'Agriculture), de stocker 250 000 tonnes de pomme de terre. «Une décision rendue nécessaire dans la mesure où la production 2013 va dépasser celle de 2012 soit une augmentation de 15% cette année», avait expliqué le président du Cnifpt, Bachir Séraoui. Ce dernier avait aussi indiqué dans une de ses sorties médiatiques que les quantités excédentaires enregistrées dans la production de pomme de terre étaient attendues «dès lors où les récoltes d'arrière saison, qui s'opèrent entre décembre et avril, ont atteint près de 19 millions de quintaux contre 16,2 millions quintaux», avait-il argué. A partir de cette donne on peut se demander pourquoi un dispositif spécial n'a pas été mis en place pour réceptionner le surplus de récolte. Toujours au chapitre de l'excédent de la production, le président du Cnifpt avait informé les médias qu'il était dû essentiellement à l'extension des superficies emblavées. A propos du manque de capacité de froid et de conditionnement, Bachir Séraoui a fait savoir que «du fait que de nombreux producteurs ont procédé à l'arrachage en même temps et de manière précoce , alors que le tubercule n'est pas tout à fait mûr, une des raisons pour lesquelles le produit ne peut-être stocké, les aires de stockage existantes se sont très vite remplies et du coup les producteurs se sont retrouvés à chercher preneur mais à des prix très en deçà des 20 DA/kg qu'offre le Syrpalac». Autre donne révélée par Bachir Séraoui : «Il faut ajouter que le non respect du planning des récoltes a engendré une dérégulation dans le fonctionnement du marché de gros de la pomme de terre.» Cette dérégulation s'est illustrée, selon le président du Conseil par de la spéculation et le refus de certains grossistes d'acheter de la pomme de terre à des prix bas pour la revendre avec des marges minimes. Il faut aussi souligner dans la foulée que le gros de la troupe des agriculteurs versés dans la culture de la pomme de terre ont vu leurs bénéfices chuter par rapport aux précédentes campagnes, ce qui a rendu les appréhensions des producteurs de tubercule tout à fait légitime. Pour atténuer leurs inquiétudes, le Premier ministre avait annoncé lors d'une visite de travail dans la wilaya de Chlef, au mois de novembre dernier, que des primes de 5DA/kg allaient être accordées aux producteurs qui ont essuyés des pertes cette année. Un geste des pouvoirs publics considéré par Bachir Séraoui comme insuffisant au regard de l'ampleur des pertes enregistrées dans la filière. Comme il a de plus jugé que la réponse de l'exécutif gouvernemental est venue en retard. «Le Cnifpt avait demandé une aide de 10 DA en septembre pour permettre aux agriculteurs d'entamer à temps leur campagne, mais la décision du ministère de l'Agriculture n'est intervenue qu'à la fin novembre», avait souligné le président
du Conseil.
Les producteurs de pomme de terre dans l'expectative d'un soutien plus efficace
Depuis rien n'a changé. Pis encore, «les agriculteurs ont vendu leur production à des prix très bas. 90% de la récolte était écoulée à moins de 20 DA le
kilogramme», nous fait-on savoir. Ce qui a poussé le Cnifpt à se réunir au cours de la semaine dernière pour faire le point sur la situation. Les doléances prononcées lors de cette réunion font croire que le marché de la pomme de terre va connaître très prochainement une flambée des prix. Et pour cause : «Suite aux pertes qu'ils ont subi lors de la récolte d'arrière saison 2013, beaucoup d'agriculteurs se sont retrouvés dans l'incapacité de réinvestir dans la culture de la pomme de terre. Les plus sceptiques pensent même à abandonner la filière», ont laissé entendre des membres du Conseil. Mais ce sont les producteurs de la wilaya de Mostaganem qui sont le plus pénalisé si l'on en croit leur représentant au sein du Cnifpt.
En effet, d'après ce dernier : «Nous n'avons pas planté notre primeur ce qui va se solder par une perte de superficie.» D'après lui, il devient évident que les prochaines récoltes seront très en deçà en terme de quantité «à partir du moment où sur les 40 000 tonnes de semences importées, 20 000 ont été écoulées sur le marché, le reste étant resté en rade et 10 000 tonnes seulement ont été vendues aux producteurs». Et de poursuivre dans ce sens : «Cela nous permet d'estimer qu'entre 20 et 25% de la campagne est déjà perdue.» Notons également que des membres du Cnifpt ont tenu à dire que la surproduction a été mal orientée cette année à cause d'un manque d'aires de stockage et une mauvaise gestion du conditionnement chez l'opérateur public Proda, qui n'a stocké que 70 000 tonnes sur les 140 000 prévues. D'autres voix se sont élevées pour dénoncer l'ingratitude de la tutelle. Car selon eux, «nous nous sommes engagés pour produire plus. Nous l'avons fait. Preuve en est : on a dépassé d'un million de tonnes l'objectif fixé à l'horizon 2014 soit 4 millions de tonnes. Mais aujourd'hui on nous demande de trouver une solution au surplus de récolte alors que la réception de la surproduction incombe en premier lieu à la tutelle». Mais toujours est-il les producteurs de pomme de terre ont reconnu que le manque d'investissements dans le froid et le conditionnement a aggravé la situation des agriculteurs. Toujours à propos du stockage on apprendra de certains professionnels que la pomme de terre ne peut pas se stocker au-delà de trois mois parce que le peu d'entrepôts existant doivent être libérés pour en stocker davantage. A cet effet le Cnifpt propose à ce que les agriculteurs soient aidés par des crédits à long terme, pour qu'ils puissent investir dans la
valorisation de leur production en développant leurs propres unités de conditionnement et de stockage, ce qui pourrait leur éviter des pertes financières. Une option sur laquelle il a tenu à préciser que «nous demandons des crédits d'investissements mais pas de primes conjoncturelles».
A l'adresse des consommateurs le Conseil interprofessionnel estime qu'ils (les consommateurs) ne s'alimentent pas assez de tubercule comme les producteurs le souhaitent, «car c'est le consommateur qui fait développer la production et pas l'inverse», nous a signalé Séraoui. Il s'est aussi prononcé sur l'anarchie qui règne sur le marché de la commercialisation de la pomme de terre. Séraoui estime pour sa part que la situation actuelle n'encourage ni l'agriculteur ni le consommateur, «puisque ce dernier continue à acheter ce produit de large consommation à des prix ne reflétant pas l'abondance de la production», nous a-t-il fait remarquer. Toujours à propos du marché, il faut savoir qu'actuellement la pomme de terre fraîche se vend entre 30 et 45 DA/kilogramme, alors que l'agriculteur l'écoule à moins de 20 DA. «C'est pour dire que les bénéfices tirés de ce produit reviennent aux différents intermédiaires intervenant dans le circuit de commercialisation à commencer par celui qui achète la production au champ», ont répété maintes fois les producteurs. Cela étant, on pourrait penser que le Conseil a cherché à travers sa réunion à avertir qu'il ne peut être en rien responsable de ce que va connaître dans les prochains mois le marché de la pomme de terre dans l'hypothèse où une flambée des prix du tubercule venait à se manifester sur les étals des détaillants.
Suite à la dernière réunion du Cifpt s'en est suivi un communiqué émanant du ministère de l'Agriculture et du Développement rural.
La tutelle se décharge de toute responsabilité vis-à-vis du désarroi des producteurs
C'est en tout cas le message en filigrane du ministère de l'Agriculture. Dans son communiqué il ne fait d'ailleurs que l'éloge au Syrpalac. Il considère en substance que le système de régulation a donné des résultats positifs ces
dernières années, notamment en matière de production de la pomme de terre. Pour le ministère : «Ce système mis en place en 2008 par le ministère de l'Agriculture et du Développement rural pour l'organisation du marché et la préservation dupouvoir d'achat a réussi à régler le problème de la pénurie, notamment de la pomme de terre, en la stockant dans des chambres froides.» Allant jusqu'à dire que «grâce à ce système, l'Etat a réussi à contrôler le marché, notamment de la pomme de terre, qui connaît souvent une pénurie aux mois de février et de septembre, coïncidant avec la poussée de la pomme de terre», soulignant que «depuis la mise en place de ce système, il n'y a plus de pénuries accompagnées d'une hausse des prix pour de longues durées». Comme ce département
estime que les opérateurs économiques propriétaires de chambres froides de
qualité - les mauvaises sont très nombreuses- jouent un important rôle dans ce domaine, en sus de l'Etat qui contribue aux frais de stockage, avec un prix d'un kilogramme de pomme de terre emballée dans un sac durant un mois estimé à 1,80 DA, «tandis que celui de stockage d'un kilogramme de pomme de terre non emballé dans un sac pendant un mois est de 1,50 DA» lit-on dans le communiqué . Cependant, il reconnaît, enfin que l'investissement dans le conditionnement est une issue indispensable.
Le ministère est appelé à revoir sa politique de production des cultures stratégiques
C'est là une approche que partage les producteurs mais qui, selon ces derniers, mérite d'être accompagnée par d'autres mesures. En clair on estime dans la filière en question, comme dans d'autres autant stratégiques, que la politique de la production agricole ne saurait faire abstraction d'exigences d'intérêt général telle que la protection des producteurs. Quant au Syrpalac des experts en matière de stratégie jugent que les buts généraux du système de régulation «ne citent la garantie des producteurs que pour en retenir sa dimension quantitative». Quant aux entraves actuelles que rencontrent les producteurs des suites d'une forte production subite, cela vient de confirmer que le dispositif adopté pour traiter les difficultés éventuelles a montré ses limites. C'est pourquoi dorénavant il faudra impérativement tenir compte de la nécessité d'opérer graduellement les ajustements opportuns dans la filière pomme de terre. Cela est d'autant plus très souhaité quant on sait enfin que les enjeux dans ce type de culture, dite stratégique, sont fondamentaux.
Z. A.


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