Baraki dans la capitale, Ghardaïa au sud, Souk El Thenine à l'est de Béjaïa, Draâ Ben Khedda dans la wilaya de Tizi Ouzou, Khenchela et Tébessa...La chronologie de la violence s'enrichit et s'allonge dangereusement et ce n'est pas sa banalisation, due à son effet de récurrence, qui lui fixera des limites. Partout où elle explose, cette violence aggrave la relation conflictuelle, latente ou explosive, entre les pouvoirs publics et des groupes de citoyens. Même si à partir d'un certain seuil, l'expression du mécontentement par l'émeute revêt nécessairement un caractère politique, ce sont bien les pouvoirs publics et non le pouvoir politique qui sont l'objet de la furie des populations. Jeunes à peine sortis de l'adolescence dans leur majorité, les émeutiers transformés en casseurs déchaînés ne visent pas d'objectif politique. La question n'est même pas de savoir si leurs demandes sont légitimes ou pas, si leur mode de protestation est justifié ou non. L'interrogation lancinante est davantage de savoir par quel cheminement une violence potentialisée par des causes précises en arrive à transformer des localités en champs d'affrontements d'une ampleur effrayante. Est-ce une raison pour que le pouvoir central, parce que non explicitement visé et mis en cause, abandonne dans un face-à-face à l'issue improbable, des autorités locales dépassées et des émeutiers qui ne croient plus aux promesses ? Aux dernières nouvelles, à Alger on pense à décréter un couvre-feu dans le chef-lieu de la wilaya de Ghardaïa pour éviter que les deux camps antagonistes se retrouvent dans la ville transformée en théâtre d'affrontements devenus quotidiens depuis plusieurs jours. Il était temps que le gouvernement prenne la mesure des menaces que peuvent faire naître des violences d'autant plus graves qu'elles mettent aux prises deux communautés différentes par leur mode de vie, leur parler et leur pratique religieuse. Le problème n'est pas nouveau entre ces communautés qui ont pourtant vécu en bonne intelligence pendant des siècles dans une coexistence que ni une démographie galopante ni des besoins économiques et sociaux nouveaux n'avaient sérieusement ébranlé. Mais en 1985, une année après le découpage administratif qui avait érigé Ghardaïa en wilaya, des litiges fonciers opposeront dans la violence les deux communautés mozabite et chaambie. Le prix du mètre carré dans la Pentapole était déjà plus cher que dans le quartier le plus cossu de la capitale, Hydra. Le découpage administratif avait-il obéi à des considérations qui ne seraient que politiques ? Il est en tout cas indéniable que les conditions d'une viabilité territoriale n'avaient pas été bien évaluées dans cette immensité sablonneuse et oasienne où ne manquaient ni le foncier, à mettre en valeur, ni des potentiels pour un développement apaisé de la région. Au milieu des années 50, quelques années avant l'indépendance, les autorités coloniales, conscientes de l'impossibilité d'une extension du chef-lieu, avaient projeté d'en ériger un autre à Zelfana, à l'est sur la route de Ouargla, une zone aux atouts touristiques avérés et aux ressources hydriques suffisantes. Tout laisse croire qu'une des causes importantes de l'ébullition dans les régions tient à l'échec des politiques d'aménagement du territoire que les différents gouvernements n'ont jamais menées avec constance. Il y a eu beaucoup de projets, tenant bien la route pour certains, mais très peu de réalisations. Les villes nouvelles tardent à sortir de terre et le développement urbain de l'existant est en proie à l'anarchie et à un «constructivisme» ignorant de la dimension humaine et sociale de la vie en collectivité. Il ne faudrait pas s'étonner, une fois ces constats dressés, que la distribution «gratuite» des logements sociaux mette partout le feu aux poudres et instaure un climat de guerre civile permanent dans les périphéries de la précarité urbaine. Le foncier à Ghardaïa, le logement social à Baraki ou Khenchela, deux éléments parmi d'autres d'une problématique d'ensemble prisonniers du populisme de l'Etat distributif réduit à répondre à la contestation par la distribution d'enveloppes budgétaires. A. S.