Près de trois ans après la fuite du président Ben Ali, la Tunisie se cherche. La transition politique s'est avérée plus complexe que prévue. Aujourd'hui les choses sérieuses commencent. L'Assemblée constituante a commencé à adopter les premiers articles de sa nouvelle Constitution. Au total, 146 articles et 250 amendements devraient être étudiés avant l'adoption de la Loi fondamentale avant la mi-janvier. Ouvrant la voie vers une pratique politique assainie et un minimum démocratique vital. Les controverses, actuellement en cours autour des moutures, sont symptomatiques d'une maturité politique porteuse de bons augures. Une situation normale dans le processus d'édification constitutionnel auquel est confrontée la Tunisie dans sa difficile transition. L'article qui consacre l'Etat comme «protecteur du sacré» et «garant de la liberté de conscience», adopté malgré la vive opposition de certains, aura partagé les élus jusqu'au bout. Sans menacer la suite. Un consensus assez large a été négocié pour permettre l'adoption du texte à la majorité et éviter la tenue d'un référendum. L'opération se poursuit dans un climat de débat et de discussion. La reconstruction institutionnelle et un accord sur les prochaines échéances électorales sont aujourd'hui une urgence pour sauver une transition fragile. L'adoption de la Constitution, puis d'une loi et d'une commission électorales avant le 14 janvier, sont les fondamentaux d'un accord entre opposants et le mouvement Ennahdha pour résoudre la profonde crise dans laquelle est bloqué le pays. Un blocage compliqué par l'assassinat, le 25 juillet, du député de gauche Mohamed Brahmi, le deuxième meurtre politique en 2013 attribué officiellement à la mouvance djihadiste. À l'issue de ce processus, Ennahdha s'est engagé à céder la place à un gouvernement d'indépendants dirigé par l'actuel ministre de l'Industrie, Mohamed Jomaâ. Le Premier ministre Ali Larayedh a, lui, exclu de démissionner avant que la Constituante n'achève ses travaux. Le principal médiateur de la crise, le puissant syndicat Ugtt, ne l'entend pas de cette oreille et table sur son remplacement dès le 8 janvier. Elue en octobre 2011, la Constituante devait achever sa mission en un an, mais le processus a été ralenti par un climat politique explosif et des contingences venues compliquer la situation comme les conflits sociaux et la question des mouvements djihadistes. Processus model Les deux premiers articles de la Constitution, non amendables, définissent la Tunisie comme une République guidée par la «primauté du droit», un Etat «libre, indépendant, souverain» et «civil» dont la religion est l'islam. La formulation des premiers articles est critiquée mais semble acceptée par la majorité. D'autres articles adoptés concernent divers sujets, tels le service public dans l'intérêt général, une répartition équilibrée des richesses nationales ou encore la famille comme «cellule fondamentale» de la société. Les débats sont marqués par les clashs entre élus, les interruptions d'audiences, et des discussions très discourues. Arrivé à ce niveau du processus cela pourrait être considéré comme une victoire. Les travaux de la Constituante ont été souvent minés par l'absentéisme des élus, des erreurs de procédures et un boycott de l'opposition de plusieurs mois après l'assassinat de Mohamed Brahmi. Les clivages d'ordre idéologique n'ont jamais quitté l'Assemblée. Les détracteurs d'Ennahdha l'accusent de vouloir attenter au caractère laïc du pays et aussi de laxisme envers la mouvance salafiste. Alors que les députés adoptent la Constitution, article par article, l'opposition a menacé de boycotter les travaux de l'Assemblée par solidarité avec Mongi Rahoui, député du Front populaire. Ce dernier s'est dit menacé de mort après avoir été traité d' «ennemi de l'islam» sur une radio tunisienne par Habib Ellouze, un élu d'Ennahdha. Ses déclarations ont été jugées irresponsables et inacceptables, jusque dans les rangs de son propre parti. Face au tollé provoqué, ce dernier s'est finalement excusé devant l'hémicycle. Du pain béni pour l'opposition qui a profité du recul pour obtenir un amendement. Celui touchant à l'article garantissant la liberté? de conscience et de croyance. La Tunisie semble bien entamer, malgré les difficultés et la complexité de la tâche, la phase la plus vertueuse du processus de reconstruction. Celui de fonder un socle politique. M. B.