Téhéran va réduire son programme nucléaire et les puissances mondiales vont assouplir leurs sanctions économiques: tels sont les termes de l'accord temporaire entre les six médiateurs internationaux et l'Iran, a écrit hier le quotidien russe Nezavissimaïa gazeta. La prochaine étape devrait déboucher sur un accord à part entière qui lèvera tout soupçon sur la fabrication de l'arme nucléaire en Iran. Les signataires de l'accord le qualifient d'historique, tandis qu'Israël le considère comme une erreur historique. Conformément à cet accord intermédiaire, l'Iran va suspendre la construction de son réacteur à eau lourde d'Arak (capable de produire du matériau pour une bombe à plutonium) et renoncer à la construction de nouvelles centrifugeuses d'enrichissement d'uranium. Téhéran s'engage également à ne pas mettre en service ses centrifugeuses de nouvelle génération, ainsi que près de la moitié des centrifugeuses installées à Natanz et trois quart de celles-ci à Fordo, près de Qom. Enfin, l'Iran suspend la production d'uranium enrichi à plus de 5% et neutralise ses 200 kg d'uranium enrichi à 20%. Il conserve néanmoins le droit de produire de l'uranium enrichi de 3,5 à 5% et de l'utiliser comme combustible pour ses réacteurs nucléaires. De plus, l'Iran accorde à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) le droit d'accéder à ses sites nucléaires pour des inspections plus minutieuses. Les inspecteurs pourront quotidiennement accéder aux sites de Natanz et de Fordo. Ils auront accès aux centrifugeuses en construction, ainsi qu'aux sites d'exploitation et de transformation du minerai d'uranium. L'AIEA aura également accès aux informations jusque-là fermées sur la construction du réacteur à Arak et les inspections y seront plus fréquentes. L'Iran s'engage enfin à répondre aux questions de l'agence sur le complexe militaire de Parchin où les Iraniens sont soupçonnés de développer leur programme nucléaire. En échange de ces concessions, la communauté internationale va assouplir ses sanctions économiques. Selon la Maison-Blanche, l'Iran accèdera ainsi directement à 6-7 milliards de dollars, dont 4,2 milliards, selon le New York Times, sont des recettes pétrolières actuellement bloquées dans des banques étrangères. L'Iran est désormais autorisé à vendre du pétrole ainsi que de l'or et des métaux précieux, ce qui rapportera à Téhéran 1,5 milliard de dollars. Sans oublier la facilitation du commerce pétrochimique et automobile. Certaines compagnies aériennes iraniennes pourront également être entretenues et vérifiées par des spécialistes occidentaux. Téhéran est aussi autorisé à utiliser 400 millions de dollars pour soutenir ses étudiants à l'étranger. Les canaux d'aide humanitaire seront ouverts au profit des Iraniens, y compris en ce qui concerne les livraisons de nourriture et de médicaments. Cependant, 100 milliards d'avoirs iraniens resteront inaccessibles, selon la Maison- Blanche. Cet accord ne reconnaît pas à l'Iran le droit d'enrichir de l'uranium, les sanctions seront maintenues, soulignent des diplomates occidentaux cités par Reuters. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a rappelé que ledit accord ne prévoyait pas une production d'uranium enrichi à plus de 5% et que ces travaux ne seraient possibles "qu'en cas d'accord mutuel" avec la communauté internationale. D'après son homologue iranien Javad Zarif, le plus important est la reconnaissance du droit d'enrichir de l'uranium et le rétablissement de la confiance. "L'Iran ne pourra pas profiter des négociations pour couvrir le développement de son programme nucléaire, a déclaré dimanche matin le président américain Barack Obama. Si l'Iran ne respectait pas les accords, il se retrouverait confronté à la montée de la pression et à l'isolement." Les congressistes républicains critiquent Obama. "On ne pourra pas parler de réussite tant que les accords ne prévoiront pas le démantèlement des centrifugeuses", a écrit sur Twitter Lindsey Graham, sénateur de Caroline du Sud. En apprenant la victoire commune des Six et de l'Iran, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a pour sa part déclaré : "L'accord conclu à Genève la nuit dernière n'est pas un accord historique, mais une erreur historique".
Premières levées de sanctions en décembre L'Union européenne lèvera ses premières sanctions imposées à l'Iran en décembre, a indiqué le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, pour qui l'accord sur le nucléaire empêchera Téhéran de faire tout et n'importe quoi en matière d'enrichissement d'uranium. L'allègement des sanctions va commencer au mois de décembre, a déclaré le ministre à la radio Europe 1. Une réunion de l'Union européenne au niveau des ministres des Affaires étrangères est prévue dans quelques semaines, a-t-il dit. Cette levée des sanctions sera limitée, ciblée et réversible, a-t-il ajouté, sans préciser les domaines concernés. C'est la même chose du côté américain, a rappelé Laurent Fabius. Interrogé sur le rejet israélien de l'accord et sur le fait de savoir si l'on craignait des frappes préventives d'Israël, M. Fabius a répondu: à ce stade non, parce que personne ne le comprendrait. A propos de la possibilité accordée pour la première fois à l'Iran d'enrichir de l'uranium, alors que toutes les résolutions de l'ONU depuis dix ans demandaient à Téhéran la suspension de ce processus, Laurent Fabius a souligné qu'il serait à l'avenir étroitement encadré. Ce qui est garanti de part et d'autre, c'est un programme d'enrichissement, ce n'est pas la même chose qu'un droit d'enrichissement, dans des termes qui sont mutuellement convenus. Ça veut dire qu'il (l'Iran) ne peut pas faire tout et n'importe quoi, il y a des limitations précises, a-t-il expliqué. Aux termes de l'accord conclu ce week-end à Genève entre l'Iran et les six puissances chargées du dossier nucléaire (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne), Téhéran ne pourra plus enrichir de l'uranium au-delà de 3,5% ou 5%. Son stock d'uranium enrichi à 20% sera aussi neutralisé. L'enrichissement à 90% permet de constituer une bombe nucléaire. Téhéran revendique un droit à enrichir de l'uranium pour un usage civil. Le pays ne dispose toutefois que d'une seule centrale, Bouchehr, fournie et alimentée en combustible par la Russie. Selon les experts, il est nécessaire d'avoir 50 000 centrifugeuses enrichissant de l'uranium à 3,5% pour alimenter une centrale. L'Iran en possède aujourd'hui 19 000.
La presse iranienne salue un accord historique La presque totalité des journaux iraniens a salué l'accord nucléaire conclu la veille à Genève avec les grandes puissances. La presse met l'accent sur le succès personnel obtenu par le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif. Le quotidien "Haft-e Sobh" estime que "Zarif a gagné la bataille de Facebook" en affirmant que près de 164'000 personnes ont mis une mention "j'aime" sur le commentaire du chef de la diplomatie lorsqu'il a annoncé dimanche matin la conclusion de l'accord nucléaire. Pour le quotidien réformateur "Arman", il faut décerner "une médaille d'or à Zarif". Le journal publie en une, une grande photo de M. Zarif à son arrivée à Téhéran. Assis sur un fauteuil, il a pris sur ses genoux Armita, la petite fille de Dariush Rezaï-Nejad, un scientifique nucléaire tué dans un attentat en 2011.
Victoire de la modération Plusieurs journaux publient également la photo de M. Zarif et du secrétaire d'Etat américain John Kerry en train de se serrer la main après l'accord de Genève. "Une poignée de main qui a permis de sortir de l'impasse", estime le quotidien "Etemad" en première page. Le grand quotidien réformateur "Shargh" affirme que "les sanctions vont voler en éclats", reprenant une phrase du président iranien Hassan Rohani. Le journal gouvernemental "Iran" salue lui la victoire "de la diplomatie de modération" en affirmant qu'en moins de cent jours, le nouveau gouvernement a réussi à faire sortir le pays d'une "crise de 10 ans".
Bataille des mots Parmi la vingtaine de quotidiens nationaux, seuls deux quotidiens conservateurs,"Kayhan" et "Vatan-Emrooz", ont choisi un ton un peu plus critique. Pour "Kayhan", "les Etats-Unis ne sont pas dignes de confiance". "L'accord de Genève n'a duré qu'une heure", car John Kerry a affirmé qu'il "ne reconnaissait pas à l'Iran le droit à l'enrichissement d'uranium". "Zarif insiste, Kerry nie" titre pour sa part "Vatan-Emrooz" en affirmant qu'"une heure après l'accord la bataille des mots a commencé entre les chefs de la diplomatie iranienne et américaine sur le droit à l'enrichissement d'uranium". L'Iran affirme en effet, que l'accord prévoit son droit à l'enrichissement d'uranium malgré les déclarations du secrétaire d'Etat américain. Le quotidien réformateur "Etemad" raconte, à partir de témoignages recueillis dans les rues de plusieurs villes iraniennes mais aussi des réseaux sociaux, l'impatience des Iraniens restés réveillés toute la nuit de samedi à dimanche pour attendre le résultat des négociations de Genève.
La presse saoudienne critique l'accord La presse saoudienne a critiqué hier l'accord sur le nucléaire iranien en se montrant sceptique sur les réelles intentions de Téhéran concernant l'arme atomique et en soupçonnant une entente secrète aux dépens des pays arabes du Golfe. Qui est le gagnant ? s'est interrogé le quotidien Al-Riyadh, qui comme l'ensemble de la presse saoudienne, reflète les vues officielles. Est-ce les six puissances mondiales ou le pays concerné (l'Iran) ? s'est encore interrogé le journal. Les Etats du Golfe ont les mêmes craintes qu'Israël sinon plus, a souligné le quotidien selon lequel l'accord a pour conséquence de mettre ces pays sans défense devant le renforcement de la puissance nucléaire de l'Iran et de ses ambitions régionales. L'Arabie saoudite n'a pas encore réagi à l'accord conclu à Genève mais trois de ses partenaires arabes, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Qatar l'ont salué. Washington a-t-il laissé tomber ses alliés du Golfe ?s'est interrogé de son côté le quotidien économique Iqtissadia. Après une dispute historique entre Washington et Téhéran, on est allé de surprise en surprise en commençant par le coup de fil du président Barack Obama à son homologue iranien Hassan Rohani et en finissant avec la joie rarement exprimée par les Etats-Unis à l'annonce de l'accord de Genève, écrit le journal. Les peuples du Golfe, plus que leurs gouvernements, ont de quoi s'inquiéter et ils ont le droit de se demander si Washington les a laissé tomber, poursuit le quotidien. L'accord avec l'Iran comporte des zones d'ombre et pourrait entraîner des pays de la région dans la course à l'armement nucléaire, estime le journal arabe Al-Hayat à capitaux saoudiens. Le quotidien Okaz a exprimé des doutes sur les intentions de l'Iran en écrivant qu'il serait illusoire de croire que Téhéran va renoncer à ses ambitions nucléaires. Ce ne sont que des manœuvres orchestrées par un seul personnage à Téhéran, conclut le quotidien en référence au guide suprême iranien Ali Khamenei. Pour le quotidien Al-Watan, le programme nucléaire iranien va continuer à susciter des suspicions. Il presse l'Iran de prouver ses bonnes intentions en cessant ses ingérences dans les affaires de ses voisins, en retirant ses forces de Syrie et en arrêtant le financement de ses partisans au Liban et au Yémen notamment. L'éditorialiste du quotidien Asharq dit douter de l'engagement de Téhéran, connu selon lui pour ses tergiversations. Il espère voir l'accord de Genève pousser l'Iran à cesser ses ingérences dans les affaires de ses voisins arabes.