Les propos de Saïdani tenus dans une interview accordée lundi dernier, à TSA, ne lève aucun voile et ne permet pas une meilleure visibilité des perspectives politiques notamment de l'échéance de la présidentielle d'avril prochain. L'opinion publique qui se délecte de ce déballage inédit, s'interroge néanmoins sur les motivations profondes de Saïdani. La cabale du SG du FLN contre le DRS serait motivée selon ses dires par le souci de l'instauration d'un Etat civil. A ce propos, il déclare : «Il faut savoir que c'est le département de la sécurité intérieure qui a gardé toujours un lien et une proximité avec la classe politique, la presse et la justice. J'ai dit et je le répète, ce département a interféré dans le travail de la justice, des médias et des partis politiques. Pour le FLN, des colonels ont approché des membres du Comité central pour me destituer. La sécurité intérieure ne peut pas nier qu'elle agit sous les ordres du général Toufik. Ce département outrepasse ses prérogatives.» A travers ces termes, Saïdani suggère implicitement que sa désignation à la tête du FLN était démocratique et exprimait la volonté de la majorité du Comité central. La sincérité de Saïdani est trahie par son appréciation de la situation au sein du FLN : «Le FLN est un parti stable. Ses instances, y compris le bureau politique, les kasmas et les mouhafadhas fonctionnent normalement. Mais un groupe, à sa tête, Abderrahmane Belayat, tente de le déstabiliser en vain. Ce groupe est connu pour son rôle dans les différents coups d'Etat scientifiques contre les chefs du FLN depuis Abdelhamid Mehri jusqu'à cette tentative de putsch qui vise ma personne.» Pourquoi le tonitruant SG du FLN, n'a-t-il pas dénoncé les pratiques du DRS et les coups d'Etat scientifiques contre les leaders du parti en leur temps ? Pourquoi a-t-il attendu ce moment pour faire tout ce déballage ? Autant de questions dont les réponses alimentent au pire des spéculations et au mieux des analyses sur ce qui se trame en haut lieu pour saisir les enjeux et rendre visibles les perspectives politiques. Réactions À première vue, les sorties de Saïdani qui se multiplient ces dernières semaines, ont boosté une précampagne électorale terne et muette. On a l'impression qu'un débat s'est installé et pas des moindres : la nature du régime politique et ses perspectives. Certains voient même en Saïdani, l'homme qui casse les tabous et qui ouvre des brèches insoupçonnées dans la muraille infranchissable du système. Evoquer aussi ouvertement les interférences de l'institution militaire dans le fonctionnement des institutions civiles relève donc du courage politique qu'aucun homme du système en fonction n'a osé faire avant Saïdani. De prime abord, ce constat peut en effet, être fait. Saïdani a dit tout haut ce que beaucoup d'Algériens ruminent depuis longtemps dans les bas-fonds d'une vie politique sans surprise et dont les règles et le jeu sont définis à l'avance par ce que le défunt M'hamed Yazid appelait «le cabinet de l'ombre». Cette approche favorable à Saïdani vient d'un observateur étranger repris par TSA. Dans une chronique Gauthier de Voland estime : «Que le premier responsable du parti présidentiel se prononce contre un pouvoir militaire et appelle à une démocratisation civile du régime aurait dû réjouir tous les leaders d'opinion. Rien que de très normal dans des régimes aspirants à la liberté. Au lieu de cela, la presse algérienne quasi-unanime dans sa détestation du clan Bouteflika, a défendu ce pour quoi elle est payée par les services de sécurité qui ont la haute main sur la manne financière de l'Anep et a pris le parti de celui dont, il y a quelques mois encore, on n'aurait pas osé écrire le nom dans ses colonnes, le fameux général Toufik.» La réaction de la majorité de la presse algérienne traduit en effet un positionnement contre Saïdani en raison de son soutien à un quatrième mandat. Gauthier de Volant ajoute : «Bouteflika serait, ainsi, l'homme qui aurait vaincu l'organisme chargé de contrôler toute forme d'action. Abdelaziz Bouteflika pourrait posséder, là, un thème de campagne tout trouvé et un bilan à faire valoir. Il serait celui qui a fait changer la face apparente des services algériens et démocratisé le fonctionnement organique du pays. Des apparences sur lesquelles bâtir un discours politique même s'il serait bien hasardeux de penser que les habitudes d'hier ne porteront pas en germe les actions de demain. Des thématiques, qui couplées à une volonté de lutte énergique contre la bureaucratie, seraient autant d'arguments électoraux compréhensibles par tous.» En Algérie, les réactions sont plus tranchées. Dans un communiqué, un ancien militaire, le général Mohand Tahar Yala, postulant à la magistrature suprême, estime que Saïdani «affiche une volonté de détruire l'institution qui est chargée en dernier ressort de la sécurité de la nation». Pour le général à la retraite, «cette volonté de détruire l'institution qui est chargée en dernier ressort de la sécurité de la nation, quitte à provoquer l'implosion et l'éclatement du pays en y créant le chaos a un objectif désormais clair : garantir son impunité pour tous les crimes économiques, moraux et sociaux qu'il a couverts ou commis contre la nation en livrant le pays à l'ingérence des forces extérieures qui le convoitent pour priver notre peuple de sa souveraineté et avoir les mains libres pour organiser le pillage de toutes ses richesses». Selon Yala, Le président de la République, «malade et visiblement incapable de prendre une quelconque décision, est pris en otage par le clan du pouvoir». Ainsi, il considère que «tous les décrets signés et toutes les décisions prises pendant que le chef de l'Etat était soigné en France sont frappés d'illégalité et donc de nullité», avant d'exiger «des autorités de l'Etat qu'elles nous fournissent la preuve formelle que c'est bien lui qui prend cette décision et qu'elle respecte les procédures légales et solennelles». Même ceux qui appellent à un quatrième mandat, n'ont pas épargné Saïdani à l'image de Amara Benyounès qui a été virulent dans sa réaction contrairement à Bensalah du RND et à Amar Ghoul de TAJ qui se sont contentés de soutenir l'institution militaire. Etat des lieux Saïdani a provoqué un séisme au sein du sérail et autant d'intérêt que d'inquiétude au sein de l'opinion publique. Le silence des institutions officielles notamment l'état-major de l'ANP qui chapote le DRS mis en cause par Saïdani, est qualifié de troublant. Quant au mutisme du président de la République, il est assourdissant d'autant plus que plusieurs parties parlent en son nom. Depuis quelques semaines, Saïdani apparaît comme le sherpa d'une aile du système qui règle ses comptes avec une autre aile. Ce qui est incompréhensible, c'est la finalité de cette guerre clanique. La fissure qui apparaît dans le corps du système est plus profonde que celle de 2004, lorsque le chef d'état-major de l'époque, le défunt Mohamed Lamari, avait soutenu la candidature de Benflis contre celle de Bouteflika. En 2004, le consensus au sein du régime n'était pas totalement rompu, Bouteflika était en bonne santé et un second mandat était moralement acceptable et politiquement nécessaire pour parachever le programme entamé. Aujourd'hui, les données sont différentes. L'état de santé du président de la République est un handicap réel d'autant plus que le prochain quinquennat interviendra dans un contexte national et régional qui exige un président fort politiquement et physiquement pour mener à bien sa mission. Si la guerre des clans de 2004 a été tranchée par les urnes, celle de 2014, ne semble pas être candidate à la vox populi. Tout porte à croire au vu des révélations de Saïdani, qu'elle ne supportera pas une trêve tant les choses se sont envenimées et tant la tension est perceptible. Vraisemblablement, la sortie de Saïdani s'explique par l'attitude de neutralité du DRS qui semble se conformer aux injonctions du chef de l'Etat après les changements intervenus au sein de ce corps névralgique. Saïdani, aurait-il compris que le DRS a refusé de mobiliser ses relais traditionnels au profit d'un quatrième mandat ? Il n'est un secret pour personne que ce ne sont pas les électeurs du FLN et du RND qui garantissent l'élection du président de la République, encore moins ceux du MPA et de TAJ ni ceux des organisations satellites. Donc, la confrontation rendue publique par Saïdani doit être tranchée en faveur d'un clan ou un autre avant la date butoir de dépôt de candidature auprès du Conseil constitutionnel. Et l'Algérie dans tout cet imbroglio ? Entourée de pays où l'instabilité et l'insécurité ont atteint leur paroxysme et risquent de s'étendre, l'Algérie fera-t-elle son printemps au sommet de l'Etat, ou son automne menaçant risque-t-il de faner ce qui reste comme verdure ? En l'absence d'un débat franc et d'une confrontation politique publique entre postulants au pouvoir, ce qui se passe en haut lieu ne dépasse pas une lutte pour le pouvoir et une guerre intestine qui ne sert ni la nation ni ses intérêts. L'ANP a tellement de choses à faire pour préserver la sécurité nationale que son éloignement de la chose politique et des luttes de pouvoir constitue une nécessité vitale et stratégique. Mais ce n'est certainement pas Saïdani qui peut être le chantre de la séparation des pouvoirs, des institutions civiles et de l'Etat de droit. Lui-même a été le protégé du cabinet de l'ombre à qui il doit son ascension politique. La démocratie devra commencer au sein du FLN en laissant les militants choisir les composantes de leurs organes dirigeants, leurs leaders politiques et leur candidat à l'élection présidentielle. Si la justice était indépendante comme le réclame le SG du FLN, il aurait répondu des accusations formulées à son encontre dans des affaires qui traînent à ce jour. A. G.