Quand deux communautés appartenant à un même pays, qu'elles chérissent autant l'une que l'autre, en arrivent à s'affronter dans la violence et le sang, c'est toujours un signe de mal-être de la nation dans toutes ses composantes et sa diversité. Et de savoir que le sang a encore coulé dans la magnifique Pentapole du sud de l'Algérie, cette fin de semaine, ne peut qu'inspirer les plus vives inquiétudes. Ceux qui nous serinent périodiquement leurs fumeuses théories du complot de l'étranger, délibérément grossies et surestimées, seraient plus avisés de déjouer d'abord celui, bien réel, qui risque de prendre naissance dans la vallée du M'zab avant de se disséminer telles des métastases sur d'autres espaces connaissant, eux aussi, des fragilités. Car les menaces de l'étranger, dans le cadre des restructurations géopolitiques en cours, sont d'abord orientées vers les pays où des faiblesses sont apparues dans leur cohésion nationale. À un mois, pile poil, d'une élection présidentielle qui n'a jamais suscité autant de débats et de querelles politiques, l'Algérie se serait souverainement passé du brasier de Ghardaïa, qui se rallume sitôt éteint. S'il y a un défi, urgent et grave, auquel le pouvoir et les autorités doivent s'attaquer derechef, c'est bien cette Fitna qui est en train de tuer à petit feu entretenu une région qui, pendant de longs siècles, avait pu faire vivre dans l'harmonie et la paix des Algériens que leur différence de rite religieux n'avait pas dressé les uns contre les autres. À en juger par l'extrême violence des affrontements qui ont repris mercredi dernier, les blessés et les nombreuses destructions de commerces et d'habitations, le premier enseignement à tirer est que le brasier a été mal éteint et que le feu couvait toujours sous la cendre. L'accalmie, après les incidents de janvier et février, aura été brève et les solutions mises en œuvre par les autorités, insuffisantes ou mal conçues. Il convient de reconnaître l'échec et de l'assumer, d'en finir avec le folklore des missi dominici qui croient exorciser le mal par de simples bonnes paroles. D'autant plus que la violence entre les communautés mozabite et chaambie a émergé dans sa forme actuelle dès le milieu des années 80, au siècle dernier. Et elle n'était pas d'essence religieuse. Il suffit de gratter un peu, de sortir des convenances inspirées par la peur et le refus de voir pour s'apercevoir que dans la wilaya de Ghardaïa plus qu'ailleurs, des découpages administratifs aléatoires et ignorant des réalités sociales spécifiques ont créé et aggravé des distorsions dans les revenus et les niveaux de vie. Le vernis du tourisme et la beauté du tapis local ont trop servi de paravent à une situation de misère sociale de plus en plus mal vécue par la jeunesse des deux communautés, qui voit des fortunes se bâtir et prendre d'autres directions sans qu'elle en tire le moindre profit. Il n'est d'ailleurs pas improbable que cette jeunesse plongée dans le désarroi soit en train de se jeter dans la rue et de s'étriper pour d'autres intérêts que ceux qu'elle croit défendre. À l'approche d'une échéance aussi importante que celle du 17 avril prochain, les feux mal éteints de Ghardaïa, la très mauvaise et dangereuse tournure que pourrait y prendre le déchaînement des violences en cours devraient être suffisants pour une interpellation sévère de l'Etat. Outre que les faits de violence entre des composantes d'une même société sont toujours un signe de régression sociale, voire politique, dont il est impératif d'étudier les causes réelles, ils mettent les autorités du pays face à des responsabilités graves dont elles ne peuvent s'exonérer. L'épine est dans leur pied et tant qu'elle y restera elle fera saigner le cœur de tous les Algériens. A. S.