Au-delà des appartenances ethniques, géographiques ou autres politiques, on ne peut se dire humain, même si ce dernier est à interroger, si on ne dit ne serait-ce que le moindre signe de solidarité à ce qui souille l'homme dans sa dignité. Condamner Israël est tout à fait une position lucide. Cela ne doit pas aussi faire oublier la guerre que bien des dirigeants arabes mènent contre leurs peuples. Car l'injustice, là où elle est, elle est à combattre. Que la Palestine soit la métaphore de la lutte contre les barbaries. Comme l'écrit si bien Mahmoud Darwich : la Palestine comme métaphore et non pas le tamis qui cache le soleil. Entre la grosse surenchère de la oumma et la vraie lutte qui consiste à résister au mensonge, les écrivains algériens ont souvent exprimé leur solidarité à la Palestine. Car, quel est le moyen le plus digne de défendre un pays sinon le dire, écrire ses pierres et sa chair, son souffle, ses rêves les plus têtus et même sa folie. Ecrire un poème est la plus grande victoire de l'homme contre ce qui empoisonne sa mémoire, ce qui piétine sa dignité et ce qui sape sa terre. Les années soixante et soixante-dix ont connu une profusion d'écrits, dénonçant ce qui pilonnait le peuple palestinien. Sans prétendre à l'exhaustivité, nous pourrons citer quelques textes nés dans le feu et la cendre de ce qui a jugulé le souffle de tout un peuple. Les maudits temps qui affligent au peuple palestinien une si grande fièvre, ont donc connu un support qui les a accompagnés dans leur lutte et la revue marocaine Souffles était le centre intrinsèque de cette lutte. Dans la mêlée, nous pourrons noter le Journal palestinien de Rachid Boudjedra, qui restitue des journées dans les camps de réfugiés palestiniens, la pièce de théâtre de Kateb Yacine, Palestine trahie, Je suis chez moi en Palestine, un poème de Malek Haddad écrit en pleine guerre des Six-Jours ; Malek Alloula qui, dans un texte publié dans la revue Souffles, rend hommage à la vaillance de ce peuple, Pour la Palestine de Youcef Sebti, Je t'aime Palestine, Montjoie Palestine de Noureddine Aba et dans le poème Chair orage de Djaout in l'Arche à vau-l'eau, il y a cette saisissante image de la jeune Palestinienne qui «renouvelle dans un orgasme négateur sa substance pourrie». Et bien d'autres. Le texte qui nous intéresse dans toute cette galerie littéraire c'est Montjoie Palestine ou l'An dernier à Jérusalem, long poème que Noureddine Aba a publié voilà bientôt trente ans. Ce dernier exprime cet élan de solidarité parsemé de douleurs et de malheurs d'un pays traversé par de terribles tiraillements. Avec force et passion de vérité, Noureddine Aba restitue les faits historiques et fait don de son écriture à ce peuple humilié et massacré au vu et au su du monde. Il est d'une vivante actualité puisque rien ne semble avoir changé depuis, même si des trêves ont été signées et rompues, même si les promesses à une paix ont été faites et sans suite et l'horrible auquel assiste le monde n'est que la preuve irréfutable duprolongement de la crise. La force métaphorique qui anime le livre exprime à bien des égards l'insondable et même si les mots tirent de toute force leur suc offensif, le malheur reste inexprimé, car comment traduire l'enfance mutilée, les rêves calcinés et la barbarie non seulement des raids mais aussi du monde ? Il y a eu crime nous dit Aba et, il y a crime. Ghaza est le prolongement de toute cette horreur qui accable les Palestiniens. L'auteur de Gazelle après minuit écrit : «Du magistral festin qui les attend à Ghaza, au Sinaï, à Damas, à Jérusalem». En dehors de sa force poétique, qui n'est pas des moindres, puisque Noureddine Aba écrit : «Je les écrirais/Avec de la poudre/Je les crierais avec du plomb». Et même le ton qu'imprime l'intitulé, qui est, entre autres, un cri de guerre, ce livre est porteur de vérités historiques souvent escamotées ou essoufflées, les références à l'histoire, au texte biblique et à la mémoire relève aussi d'un désir de dialogue et d'un amour de vérité qui, au-delà de toute les douleurs, «présente la question juive si mal connue des masses», comme le souligne bien Jack Daumal dans sa préface. Il restitue les histoires triturées et manipulées. Il invite aussi à ne pas être pris dans le piège. L'auteur écrit : «Pour que la mémoire des miens ne soit pas hantée par les cris des bêtes». Ce qui rend humain la cause d'un peuple, c'est la passion et la vérité de son amour et non pas de sa haine. Et ce que chante Noureddine Aba est bel et bien l'amour de l'humain, la dédicace de son livre dit bien cela : « A mes deux fils, ces pages écrites sur le malheur d'un peuple – non pour s'enfermer dans la haine, mais pour s'en délivrer». Une sonnette d'alarme à actionner en ces temps de folie. Il rajoute aussi dans ce sens : «Mon Dieu, ne me laissez pas à cette panique solitaire et poignardé par ce cri je ne veux pas haïr le juif, mon Dieu, c'est toujours auprès de moi qu'il a trouvé l'asile, la halte et la poignée de dattes et la main fraternelle et la chaleur de l'âme notre trésor de pauvres.» Les images fortes de sens connotent aussi un sens visionnaire du poète puisqu'il écrit dans le livre cette petite phrase qui trouve toute sa signification macabre dans la triste nuit du désastre palestinien : «Les murs devenus cratères». Le mur de la honte n'est il pas le cratère qui menacera sans cesse la vie sur cette terre ? Les méchants grondements du volcan n'ont-ils pas fait des morts, ou comme l'écrit si justement Noureddine Aba : «Dans ce paysage d'alphabet torturé/d'alphabet pour aveugles, je délire- Oh mon Dieu, je délire ! Israël crache sur moi sa plaie mûrie par deux mille ans de mise à l'ombre !». L'auteur dit des choses comme s'il nous parlait de ce qui s'y passe malheureusement, excepté la haine, étant propice à se propager, il écrit : «Ma haine consumée, je témoigne que l'Europe et l'Amérique ont délibérément abandonné le juste, je témoigne car ils auront à répondre de l'aurore égorgée par les loups au point exact et géométrique de l'espérance et de l'amour, au point exact et géométrique de la transfusion des couleurs de l'an dernier à Jérusalem, pour l'an prochain à Nuremberg». Presque trente années après l'écriture de ce livre, les mots de Noureddine Aba sont d'une brûlante actualité, ils retentissent dans les venelles de ce monde honteux où l'homme est bafoué dans sa dignité et sans scrupules, son frère le loup chante la civilisation et l'humanisme. Y a-t-il encore un sens de se dire homme ? Beckett n'avait-il pas résumé l'homme dans sa célèbre pièce En attendant Godot, en mettant ses mots dans la bouche de Vladimir : «Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable». A. L.