Un hommage a été rendu à l'œuvre et au parcours d'Abderrahmane Bouguermouh, cinéaste algérien disparu en 2013, avec la projection en avant-première de Mon ami mon double, un documentaire de 52 mn, en langue française, réalisé par Ali Mouzaoui à la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. La projection, qui s'est déroulée en présence de la famille du défunt, de ses amis et de certaines figures du cinéma algérien, a été précédée par la diffusion de la musique du générique du film les Oiseaux de l'été de Bouguermouh, une musique que le réalisateur aimait écouter. Le réalisateur, a d'emblée averti les présents que Mon ami mon double «est très dur», rapporte l'APS. L'émotion est ainsi très puissante dès les premières séquences du documentaire, qui s'ouvre sur des images en noir et blanc du village Tara dominé par une montagne dont le sommet dessine les courbes d'une femme allongée, morte pour son amour, et dont l'Anza, la voix des morts qui interpellent les vivants, se fait toujours entendre. Anza c'est aussi la voix de Bouguermouh qui, à travers ce documentaire, parle aux vivants. Puis apparait le visage de Bouguermouh au milieu d'un décor modeste. Le réalisateur de La colline oubliée revient sur les grandes idées qui ont rythmé sa vie. L'amour, la terre ancestrale, l'absence, la solitude et la mort. Sur grand écran sa voix vibre : «Chez nous, l'amour est un blasphème, on n'en parle pas et quand on en parle on le fait de manière indirecte, comme dans La colline oubliée lorsque Azzi déclare son amour à Menache à la troisième personne du pluriel.» Abordant le travail du cinéaste, Bouguermouh revient notamment sur les difficultés financières et les entraves administratives qu'il a rencontrées pour réaliser La colline oubliée, premier film d'expression amazigh, sorti en 1997, adapté du roman éponyme de Mouloud Mammeri. Modeste il se demande s'il n'a pas usurpé le titre de réalisateur en ironisant : «Je suis un cinéaste sans film. Je n'ai qu'un film et je ne sais pas si on peut se faire appeler réalisateur lorsqu'on n'a produit qu'un film.» La solitude et l'absence étaient également au cœur de ce portrait de l'artiste qui explique : «J'ai découvert le sens de l'absence en France, lorsque j'ai quitté mon pays. J'étais comme estropié, tellement il me manquait.» Vient alors la solitude, que Bouguermouh compare à la mort. «La solitude c'est celle d'un homme, moi ou un autre peut-être, tout seul dans un grand appartement et personne pour s'occuper de lui et sans amis pour lui rendre visite. Les fleurs ne me disent plus rien car je ne peux plus les partager.» Le visage triste, Bouguermouh et visiblement très touché, il lance à la face de ceux qui l'ont laissé seul, «bka âla khir a y'Akbou», une expression kabyle avec laquelle on fait ses adieux, avant de fredonner, avec sa voix usée, une chanson du folklore kabyle. Dans une séquence bouleversante, le regretté Bouguermouh, le regard éteint et le visage plein de douleur, demande au réalisateur d'arrêter de filmer en soulignant face à la caméra que la solitude est ce qu'il y a de plus dur à supporter. L'absence, la solitude et puis la mort. Cette mort que Bouguermouh a rencontré alors qu'il était enfant, lors des massacres du 8-Mai-1945 à Sétif, sa ville d'adoption, avec l'image de cet écolier tué étendu avec son cartable dans la main. Le documentaire s'achève sur les images de l'enterrement d'Abderrahmane Bouguermouh. S. B./APS