En déclenchant une opération qualifiée d'«antiterroriste» dans l'Est contre les manifestants pro-russes, le gouvernement de Kiev, sous l'impulsion occidentale, risque bien de durcir une crise qui se complique à vue d'œil. Moscou n'entend pas de se faire dicter son attitude en sommant immédiatement les autorités pro-européennes de Kiev de cesser «la guerre contre leur propre peuple». A la suite d'une demande de la Russie, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni en urgence. Moscou a dénoncé «l'ordre criminel de Tourtchinov (le président ukrainien) de recourir à l'armée pour réprimer les protestations» et demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité de l'ONU. La tension dans l'est de l'Ukraine pourrait pousser Moscou à intervenir pour venir au secours des populations, le président Vladimir Poutine ayant promis de défendre les populations russophones qui refusent le dictat venant de l'ouest. La situation fait également peser une incertitude sur des pourparlers prévus pour la semaine prochaine afin de tenter de trouver une issue à cette crise aux relents de néo guerre froide. Les événements dans l'est de l'Ukraine rappellent la situation de la Crimée, rattachée à la Russie après un référendum populaire. Certaines provinces de l'est pourraient ainsi suivre la même évolution. D'autant plus qu'à l'Ouest le discours est plus que jamais hostile. Le chef de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, et l'ambassadrice américaine à l'ONU Samantha Power, menacent toujours Moscou de nouvelles sanctions. Une posture rude qui ne saurait mener vers un règlement de la question. D'autant plus que la crise des régions de l'est commence à faire des victimes. Comme prévu, le retentissement de la crise en Crimée sur les régions de l'est de l'Ukraine fait qu'elles commencent à bouillonner. A Marioupol, sur la mer d'Azov, des manifestants se sont emparé du siège de l'administration locale, hissant le drapeau de la «république de Donetsk». A Kharkiv, des incidents entre manifestants ont fait une cinquantaine de blessés. A l'issue d'une première série de soulèvements début avril, des manifestants avaient proclamé à Donetsk, la grande ville de la région, «république souveraine» réclamant le rattachement à la Russie, ou au minimum la «fédéralisation» de la Constitution ukrainienne. Kiev dit niet, n'acceptant du bout des lèvres qu'une forme de décentralisation. Mais le dialogue est particulièrement difficile. Moscou ne reconnaissant pas le gouvernement pro-européen arrivé au pouvoir après le renversement fin février du président élu Viktor Ianoukovitch. La question de l'avenir de l'Ukraine dans sa forme géographique actuelle semble aujourd'hui sérieusement posée face à la réalité du terrain. La tenue d'un référendum sur le rattachement à la Russie ou une fédéralisation» de l'Ukraine reste l'une des principales revendications d'une partie des populations de Donetsk dans l'est du pays. À Kiev l'on refuse viscéralement toute idée d'autonomie et condamne à l'envie les «manipulations» de la Russie. Mais au lieu de propositions politiques c'est le langage de la force qui fait office de dialogue. Kiev parle d'engagement d'une «opération antiterroriste». L'arme du gaz La Russie dément toute responsabilité dans les événements dans l'est et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dément l'intention de Moscou de rattacher à son territoire les régions orientales de l'Ukraine. Pour Lavrov les régions russophones de l'est devaient être associées à la rédaction d'une nouvelle Constitution avant un référendum sur le type d'Etat qu'entend devenir l'Ukraine. En fait, l'éclatement de l'Ukraine en de multiples petites républiques en conflit permanent ne semble pas accommoder la Russie. Mais cette dernière est outrée par le deux poids deux mesures des Occidentaux. «On peut se souvenir que la violence sur Maidan, était qualifiée de démocratie, alors qu'on parle de terrorisme à propos des manifestations pacifiques qui ont lieu maintenant dans le sud-est», s'est demandé Lavrov pour qui l'hypocrisie occidentale «dépasse les bornes». La Russie attend même des explications des Etats-Unis sur l'éventuelle visite du chef de la CIA, John Brennan, à Kiev. Un acte qui ne serait pas considéré comme amical par Moscou s'il est confirmé. La tension monte crescendo et l'ONU a appelé tous les protagonistes à faire preuve du maximum de retenue et au dialogue. Des pourparlers, Russie-Ukraine-Etats-Unis-UE, sont justement annoncés pour jeudi prochain à Genève, mais le discours belliciste des Occidentaux chargeant la Russie n'encourage guère à la discussion. Vladimir Poutine a averti que la crise pourrait bien mettre en péril les approvisionnements en gaz de l'Europe. Quelque 13% du gaz consommé par l'Union européenne transite en effet par l'Ukraine, qui plus est a des milliards de dollars de dette gazière envers Moscou. La Russie le sait très bien et semble ne pas du tout hésiter à user de cette carte stratégique. M. B.