Depuis la chute de Hosni Moubarak, les Egyptiens, qui ont affronté la mort pour vivre en démocratie, accusent déception après déception. La dernière en date est sûrement d'apprendre par Abdel Fattah al-Sissi, l'ultra-favori de la prochaine présidentielle qu'il faudra des décennies à l'Egypte pour devenir une démocratie. Le militaire qui a destitué le frère musulman Mohamed Morsi, a fait de la stabilité sa priorité et s'est dit prêt à l'obtenir aux dépends des libertés. Abdel Fattah al-Sissi a expliqué aux médias égyptiens que «parler de démocratie» ne devait pas primer sur la «sécurité nationale» et le redressement de l'économie en ruines. Les Egyptiens, qui ont brisé la dictature de Moubarak, en sont-ils convaincus ? Depuis la destitution début juillet de Morsi, un nombre important de télévisions a été fermé, des journalistes emprisonnés et des détenus politiques incarcérés. En dix mois, plus de 1 400 personnes, en majorité des manifestants pro-Morsi, ont été tuées et quelque 15 000 emprisonnées, tandis que des centaines ont écopé de la peine capitale à l'issue de procès expéditifs, et qu'une loi récemment promulguée restreint drastiquement le droit de manifester. Malgré cela, M. Sissi est donné grand vainqueur face à son seul adversaire, le leader de gauche Hamdeen Sabbahi, lors de la présidentielle des 26 et 27 mai prochains. Est-ce que les jeunes révoltés de la place Tahrir ont fait leur choix entre «démocratie et stabilité» ? Difficile à dire surtout que l'équation «démocratie, liberté», propre des chefs d'Etat d'avant le printemps arabe, a été résolue par les protestataires qui estiment pouvoir vivre dans un pays démocratique et stable. La nouvelle génération refuse qu'on lui impose un choix entre la stabilité ou la démocratie. Car, cela reviendrait à la réhabilitation de l'idée dangereuse selon laquelle le peuple doit sacrifier ses aspirations à la liberté et à la démocratie sur l'autel de la stabilité et du développement économique. Pourtant, aujourd'hui en Egypte, à l'exception des manifestations réprimées des pro-Morsi, les militants de la liberté et de la démocratie semblent être résignés. L'heure est sûrement à la «déception révolutionnaire» comme l'a écrit le journaliste du site Orient XXI. Selon l'article, les membres des différents mouvements de protestation qui ont réussi à mener la révolution égyptienne, sont aujourd'hui ou morts ou emprisonnés. C'est le cas à titre d'exemple de Saïd Wiza, membre du Mouvement du 6 avril, puis l'un de ceux qui ont porté l'idée de Tamarrod, tué par la police le 25 janvier 2014, alors qu'il manifestait à proximité du syndicat des journalistes. «Nazly Hussein, ainsi que vingt autres militants, dont de nombreuses femmes, qui protestaient contre la mise en application de la loi de novembre 2013 interdisant les manifestations» ont été arrêtés à Maadi dans le nord du Caire, précise encore le site qui cite Khalid Al-Saïd et Nagui Kamel, activistes de Kifaya, «accusés de détenir des explosifs et de rouler en sens interdit. Transférés à la prison d'Abou Za'baal, ils ont subi de mauvais traitements». Orient XXI cite des noms d'autres jeunes qui ont fait partie des «Jeunes de la Révolution» avant de finir en prison ou marginalisés. En effet, l'Egypte de Sissi exclut de fait ceux qui ont été hier derrière le mouvement populaire, de l'actuelle dynamique. Car, aujourd'hui en Egypte, il y a une «guerre» entre militaires et Frères musulmans. Et cette dualité est en faveur de l'ex-chef des armées, Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier a déclaré cette semaine qu'il quitterait le pouvoir si des manifestations de masse réclamaient son départ après la présidentielle des 26 et 27 mai prochains. En réalité, Al-Sissi sait pertinemment que les Egyptiens sont las après trois ans de manifestations, de grèves, de compter leurs morts et de vivre une grave crise économique. Seuls les pro-Morsi vont encore réagir et seront réprimés. Lui, une fois élu, il a promis de régler les problèmes socio-économiques en deux ans. Une promesse qui va lui permettre d'avoir un peu de répit avant le risque d'une nouvelle explosion sociale. Car, les Egyptiens vivent une importante dégradation de la situation économique et sociale. Dans ce pays de 80 millions d'habitants, près de la moitié vit avec moins de 2 dollars par jour. La crise politique qui n'en finit pas avait retardé le déblocage d'un prêt du Fonds monétaire international (FMI) très attendu de 4,8 milliards de dollars. Et ce dernier ne va pas suffire, en l'absence d'une stratégie cohérente de développement, à relancer l'économie du pays. C'est là, le défi majeur de l'ex-maréchal. Dans son programme, le candidat Abdel Fattah al-Sissi prévoit 100 milliards d'euros pour donner une nouvelle image à l'Egypte. Le militaire à la retraite entend créer de nouvelles provinces par le biais d'une extension des provinces existantes qui iront de l'ouest du Nil à la Mer Rouge. Il souhaite bonifier 2 millions d'hectares, soit près de la moitié de la surface actuellement cultivée. Un plan pour la production de l'énergie solaire, de 10 000 mégawatts, est aussi à l'ordre du jour. Il compte sur l'apport des 8 millions d'Egyptiens résidant à l'étranger et les investissements des pays du Golfe et ailleurs. Le grand favori à la Présidentielle promet de changer le visage de l'Egypte. Réussira-t-il à tenir son engagement ? Al-Sissi ne devra pas oublier que ce sont les inégalités sociales qui ont emporté Moubarak. Car, même si le peuple égyptien a appris que la liberté et la démocratie ont un prix et qu'il semble, actuellement, fatigué de le payer, cela ne durera pas éternellement. Tous ceux qui aspirent au retour de la loi et l'ordre après le chaos postrévolutionnaire, vont rapidement déchanter s'ils ne trouvent pas de meilleures conditions de vie. La stabilité de façade portera alors en elle les germes de l'instabilité de demain. H. Y.